Pour une réforme inédite.
Elle avance à bas bruit, Comme si elle suivait tant d'autres, à quelques nuances près. Or elle est bien différente en nature, même si elle tend à faire aboutir des tendances déjà inscrites dans des projets précédents, visant en gros à mieux adapter le système au voeux des intérêts productifs. Si elle produit des effets pervers, elle a son fanion: la "modernité". Elle a sa logique: la normalisation. La relation pédagogique est en souffrance. La numérisation galopante et sans cohérence fait des siennes jusqu'à l'absurdité. Les neurosciences prennent le pouvoir. Le délitement est patent. Le démantèlement des filières, imposé unilatéralement, n'est pas sans conséquences perverses. La perte de sens est en bonne voie. La critique est sévère, de la part d'une grande partie des enseignants, au coeur du système. Il y a bien une logique dans la réforme en cours, mais pas celle que reconnaîtraient Condorcet et à sa suite les partisans de l'école où l'égalité des chances reste encore un idéal à défendre. __Sous sa prétendue réforme "technique", l'école de J.Ferry entre dans une ère nouvelle où la culture n'est plus l'objectif premier, où le pragmatisme domine, où l' adaptation au monde du travail devient prioritaire, au sein d'un système scolaire de plus en plus éclaté. Mais le bilan de cette "révolution" scolaire serait déjà un fiasco, selon les observateurs les plus sévères: En stratège, le ministre préfère ''la politique du puzzle'', ouvrant sur tous les fronts des chantiers sans lien apparent dont la cohérence n'est perceptible qu'au moment d'ajouter la dernière pièce au tableau […] Mais l'illusion ne saurait durer, tant la démarche signe le retour du sarkozisme à l'éducation. La même veine idéologique, les mêmes acteurs sont à la manœuvre. Derrière les discours lénifiants, il s'agit toujours de faire gagner la logique du marché sur celle du service public. Et , les mêmes causes produisant les mêmes effets, ce qui a abîmé l'école de la République il y a dix ans l'abîme de nouveau aujourd'hui » C'est un système à la carte, mais très verticalement organisé qui est l'objet de critiques de spécialistes de l'éducation. Contre un système trop mécaniste et tatillon, de plus en plus formel aussi, condamné au rafistolage permanent, engendrant un désarroi et une contestation croissants. Un désordre et une atomisation qui défavorisent les plus fragiles. Un système de plus en plus à la carte. Même l'OCDE, pourtant libéral, ne ménage pas ses critiques. Le découragement gagne ainsi que parfois le fatalisme.
Depuis les années Giscard, l'école subit des réformes successives, dont la rapidité et l'absence de continuité et de cohérence déconcertent plus d'un enseignant et plus d'un parent. Mais sans que sur le fond les choses changent beaucoup. Les finalités essentielles de la scolarité se perdent un peu plus dans le flou ou le brouillard.
Qu'est-ce qu'apprendre? comment le faire au mieux pour tous, pour en faire des êtres plus libres et des citoyens éclairés et critiques. Depuis Condorcet, c'est le coeur nucléaire du système, qu'on dirait souvent oublié dans les faits.. Pragmatisme, adaptabilité et recettes pédagogiques sont de plus en plus l'objet de discussions prioritaires et interminables. La forme masque de plus le fond.
D'une école ouverte sur la vie, on est passé à une sorte d'école à la carte, où l'apprentissage "autonome" et ludique finit par primer sur l'instruction (mot banni aujourd'hui), où l'évaluation devient opaque, où le savoir n'est que peu valorisé pour lui-même (on en voit les conséquences), l'élève étant de plus en plus au centre du système, où les enseignants sont priés d'être surtout des accompagnateurs toujours bienveillants (nouveau concept cache-misère), où les maîtres (ah, le vilain mot!) doivent être d'une indulgence sans limites.
Cette tendance se poursuit, malgré les critiques peu audibles. Même partielles. Beaucoup d'enseignants sont devenus fatalistes au cours des ans, un grand nombre ayant perdu la flamme. La succession des réformes, parfois sans cohérence ni continuité. a usé parfois les plus motivés.
La "révolution" en cours les inquiète justement et l'avenir de la réforme est tout sauf claire. L'ambiguïté est présente. Le pragmatisme revendiqué ne passe pas. La culture toujours attendue en prend un coup. On suit la pente déjà engagée. Par exemple, une heure et demie de français et d'histoire géo en Lep. Une aumône culturelle. La nation a-t-elle seulement besoin de bras?
Une certaine logique managériale tend à s'imposer davantage. Une révolution conservatrice par beaucoup d'aspects.
Bref, une réforme à réformer. Une de plus.
Comment refonder une école réellement républicaine?
En revoyant d'abord la copie...
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Une préconisation toujours bonne à rappeler, qui en dit long sur certaines dérives:
...Les conceptions de l’OCDE dans le domaine de l’éducation vont dans le sens d’une forte libéralisation du système éducatif. Dans Repenser l’enseignement. Des scénarios pour agir (dernier volume de la série « l’école de demain »), l’OCDE donne la parole à Jay Ogilvy, « grand pionnier de la réflexion prospective au sein des entreprises ». Celui-ci préconise une « décentralisation » et « une autonomie accrue des établissements scolaires, avec une influence plus forte des parties prenantes »1. Il fait l’éloge du projet anglais FutureSight, qui a consisté à renforcer le pouvoir des chefs d’établissement2. Il « préconise l’application des principes du marché contre l’excès de bureaucratie, qui risque d’étouffer l’innovation dans l’enseignement » Cet expert promeut l’idée d’un enseignement adapté à chaque élève. Il affirme : « À l’avenir nous disposerons d’outils d’apprentissage qui nous permettront de faire chez chaque élève un diagnostic personnalisé qui nous donnera la possibilité de mettre à sa disposition, à chaque heure de la journée, des outils d’enseignement et des préparations de leçons les mieux adaptés à ses besoins et à ses aptitudes »4. Il faut selon lui « traiter chaque école et chaque élève différemment et singulièrement en fonction de leurs besoins propres », et « individualiser [l’] enseignement. » « Pour atteindre l’équité devant l’éducation à l’ère de l’information, nous devons rompre avec le vieux modèle de production de masse d’élèves bien socialisés et identiques de l’ère industrielle. Nous devons recueillir des informations sur chaque circonscription, chaque école, chaque élève, et les utiliser pour moduler les quantités de “nutriments” – qu’il s’agisse de dollars, d’enseignants, de manuels ou d’ordinateurs – en fonction des besoins de chaque école et de chaque élève »5. Ces idées sont entièrement au diapason de celles de notre gouvernement de droite, qui veut en finir avec le collège unique, créer des collèges de haut niveau dans les centres-villes et des collèges où l’enseignement se réduirait au minimum, au « socle commun », dans les banlieues défavorisées. Les 7 piliers du socle commun de connaissances sont d’ailleurs inspirés par l’OCDE. Ce que prône l’OCDE, c’est de renoncer à l’objectif ambitieux d’une école, d’un collège et d’un lycée pour tous, et trier dès le plus jeune âge les élèves en fonction de leurs résultats ; ce qui revient en fait à les trier en fonction de leur niveau social, donc à accentuer les inégalités. Ces préconisations vont à l’encontre du caractère démocratique et universel du système éducatif. Dans ce long rapport pétri de langue de bois, l’OCDE préconise aussi que l’enseignement public soit désormais « concerné par les mécanismes du marché ». L’organisation déplore que « les conseils d’établissement et l’administration centrale de la circonscription fonctionnent comme des monopoles d’État. Parents et élèves n’ont pas le choix du fournisseur, comme ce serait le cas sur un marché libre ». Elle fait valoir que « dans la plupart des entreprises, un directeur peut opérer des changements pour répondre aux différents besoins d’une clientèle diverse », et conclut : « Nous devons commencer par dégripper ce mécanisme ». Elle propose en outre de « donner aux élèves et aux parents la possibilité de choisir l’école et les enseignants qui correspondent le mieux à leurs besoins. Le financement ira dans le sens du choix des élèves » ; ainsi « les forces du marché récompenseront les résultats »6. L’assouplissement de la carte scolaire, l’autonomie des établissements, l’idée de payer les enseignants « au mérite », le recrutement massif d’enseignants contractuels tandis que les places aux concours sont drastiquement réduites et que des milliers de postes d’enseignants titulaires sont supprimés chaque année, toutes ces initiatives du gouvernement trouvent leur source dans les préconisations de l’OCDE qui est aujourd’hui véritablement le fer de lance de la libéralisation des systèmes éducatifs. Il est temps de démystifier l’OCDE, de se démarquer de cette influence ultra-libérale, et d’entreprendre une politique éducative ambitieuse et démocratique, visant à la réussite de tous les élèves..."________