On se mentirait si on disait que tout va bien à l'école
Ce que reconnaît (enfin!) le nouveau ministre, de manière bien allusive et non programmatique...Le chemin est encore long...
(Lettre fictive: ) " À toi, mon élève, Tu te souviens de moi ? En maternelle, à l'école élémentaire, au collège, au lycée, à l'université, c'est moi qui t'accueillais en salle de classe, qui t'apprenais des choses et te faisais travailler. C'est moi aussi qui t'encourageais, qui te conseillais, qui t'expliquais ce que tu ne comprenais pas. C'est moi également, parfois, qui me fâchais quand tu n'étais pas d'humeur à travailler et amusais la galerie, ou bien que tu passais tes nerfs sur un camarade ou sur moi parce que tu ne te sentais pas bien... Rappelle-toi tous ces bons moments et ces moins bons. On en a fait, du chemin, ensemble. Tu n'as pas que de mauvais souvenirs, admets-le ! Mais aujourd'hui, tu n'es plus mon élève. C'est ton enfant qui a pris ta place, ou ton petit-enfant. Et tu l'aimes, ce petit, et tu ne supportes pas que je puisse comme avec toi trahir sa confiance. Je t'avais dit que tu aurais un bon travail si tu travaillais dur, et te voilà au chômage. Je t'avais dit que l'école formait des citoyens éclairés capables de rendre le monde meilleur, et la vie meurt partout où porte le regard. Je t'avais dit de respecter ton prochain car nous formions un peuple fraternel, et pourtant il n'y a jamais eu autant d'injustices. Oui, je t'ai menti. Comme tes parents avant moi. Le père Noël, la petite souris, les licornes et la Justice n'existent pas. C'est à nous de nous battre pour qu'ils enchantent le monde. Mais tu sais, je ne t'ai pas menti pour te désarmer, ni même pour te protéger. Je l'ai fait parce que je croyais à mon mensonge. Je croyais moi aussi qu'une Justice était possible, puisque j'étais devenu enseignant. Seulement, je n'avais pas compris qu'un professeur ne fait pas partie de l'élite, mais seulement du couvercle de la marmite. Pour ne pas faire de vagues, on nous intime de prendre sur nous, de nous dépasser, d'être bienveillants : l'école doit accueillir, inclure, accompagner et donner des diplômes à tous. L'école est une garderie magnifique où l'égalité permet à tous de se sentir également traités par la République. Le réel triera ensuite les méritants. Et tant pis si les méritants sont le plus souvent les héritants. Tant pis si ceux qui trinquent le font de père en fils, de mère en fille. L'École a fait son œuvre et tamponné le front du jeune du sceau républicain de l'égalité des chances. Il a masqué les inégalités niées par les discours et assénées pourtant par la vie. Aujourd'hui, les professeurs sont divisés, méprisés, déprimés et pleins d'amertume. Aujourd'hui, les élèves sont stressés, démoralisés, désespérés et en souffrance. Aujourd'hui, les parents sont angoissés, en colère, pleins de rancœur. Aujourd'hui, les réseaux sociaux, les médias et les politiques regardent s'affronter les membres de ce trio en s'amusant avec nostalgie de ces enfantillages. Sauf que ce n'est pas rien, une école malfaisante. Sauf que ce n'est pas rien, une jeunesse en souffrance. Sauf que ce n'est pas rien, une société en crise. Sauf que les victimes n'en sont pas les seuls responsables. Si l'école est maltraitante, malfaisante, mal-apprenante, ce n'est pas qu'à cause de la malveillance des profs, mais à cause de la bienveillance dont on les étouffe, dont on les désarme, dont on les force à faire un usage immodéré et inconsidéré. On doit faire plaisir aux élèves, aux familles, à la hiérarchie, et tant pis si c'est sans moyens d'y réussir : on est capables, et cette seule pensée devrait nous suffire pour nous surpasser malgré des classes trop chargées, des locaux inadaptés, des programmes aberrants et des formations inefficaces. L'échec est forcément celui de l'individu, cet enseignant qui n'aura pas fait assez, pas assez bien. N'importe qui peut accuser les professeurs de n'importe quoi. N'importe quel ministre peut annoncer n'importe quelle mesure et ne rien faire, n'importe quel dysfonctionnement peut advenir pour empêcher les enseignants d'enseigner, mais les seuls qui savent ce qui se passe dans les écoles, les seuls capables de dire ce qu'il faut aux élèves, les seuls capables de dénoncer les mensonges d'état, les calomnies du peuple et les erreurs des médias sont les seuls qui n'ont pas le droit de s'exprimer : les enseignants. Pas de vagues. Devoir de réserve. L'écume au cœur et aux lèvres, au bord des yeux, mais pas de vagues. Pourtant, c'est un tsunami qui se déchaîne dans nos cœurs et nos esprits, parce qu'on n'a pas signé pour être complices de la destruction de l'École, du pacte républicain et de notre société. Nous, on a signé pour participer aux fondations d'une société plus juste et éclairée, bâtissant sur la culture, la connaissance du monde, du passé et des hommes, sur les arts et la science pour contribuer à faire de notre espèce ce à quoi elle peut prétendre. Alors, mon élève, toi dont j'ai tenu la main, toi qui me confies ton enfant, n'oublie pas que nous avons le même rêve. Seulement, ce rêve n'est pas partagé par tous. Certains veulent leur part du gâteau. L'argent qui sert à faire fonctionner l'École, l'Hôpital, le Justice... c'est de l'argent collectif issu des impôts, et ce sont des milliards sur lesquels les actionnaires qui possèdent le monde ne perçoivent aucun dividende, et c'est ça, le problème qui fait que les plus grosses fortunes dépensent tant d'argent en lobbying, dans l'achat de médias, en publicité et en soutien aux politiques libérales : pas pour libérer les énergies du peuple, mais pour libérer leurs profits à eux d'une équité sociale sans cesse remise en cause par les nantis. Alors, les enseignants en ont assez d'en saigner, et il est temps que la grande vague de la vérité submerge l'arsenal de mensonges qui empêche l'école de fonctionner ! NON, les profs ne sont pas plus absents qu'ailleurs. Seulement, leur absence est plus remarquée qu'ailleurs, car elle a une répercussion sur les élèves qui n'ont pas cours. Au contraire, les profs sont plus souvent présents que dans le privé, même quand ils sont malades et au mépris des risques sanitaires occasionnés à leurs élèves ou aux baisses d'efficacité pédagogique. En revanche, c'est le nombre de remplaçants qui a diminué : le Ministère de l'Education Nationale ne cesse de diminuer le nombre d'enseignants remplaçants, créant une tension insupportable sur le système et faisant régner une tyrannie de la culpabilisation pour compenser leur gestion calamiteuse des ressources humaines. Les recteurs d'académie n'hésitent plus à embaucher à bas salaires des contractuels précaires, voire des étudiants et des chômeurs sans formation pour remplacer les enseignants manquants, et ce au mépris de la qualité de la formation dispensée aux élèves. L'important est de maintenir la garderie ouverte, pas que les enfants apprennent et atteignent l'égalité réelle des chances. NON, les enseignants ne sont pas tout le temps en grève, en vacances ou surpayés à rien faire. Parmi les enseignants les moins payés des pays développés, ils sont également très peu à être syndiqués ou à faire grève, et les salaires sont gelés depuis des années tandis que les enseignants se situent dans la fourchette des citoyens souffrant de la double peine fiscale : trop riches pour percevoir des aides ou avantages sociaux, ils sont trop pauvres pour accéder aux privilèges des classes moyennes et supérieures. Sans compter qu'une heure de cours en présence des élèves se prépare en amont (recherches, formation, création des documents et outils...) et en aval (correction des travaux, réunions, bulletins, ENT, communication administrative et avec la famille, suivi disciplinaire...). La charge réelle est au moins double, et la charge mentale, elle, est démesurée, et souvent insupportable. NON, les enseignants ne sont pas des tyrans incompétents et cruels : en revanche, ils n'ont pas le temps ni les moyens de mettre en place des pédagogies novatrices (pas de formation, classes trop chargées, trop d'élèves en souffrance et disparition des métiers périscolaires dévolus au traitement de ces difficultés, locaux trop petits et inadaptés, culture de l'effort absente du reste de la société, concurrence des écrans de loisir...). Tout est réuni pour concourir à l'échec scolaire, et on doit surtout s'étonner que certains élèves réussissent encore... mais ce sont souvent ceux dont les familles sont des milieux privilégiés pour se construire en tant qu'élève performant et cultivé. Reste la tension, la violence quotidienne... et les faiblesses humaines qui font qu'on succombe sous la fatigue et l'émotion. Alors, toi qui as vécu dans ma classe certains des moments qui ont fait de toi l'adulte que tu es aujourd'hui, rappelle-toi certains de mes enseignements... Lis les consignes et réfléchis avant de te lancer bille en tête dans l'exercice : dans l'isoloir, ton bulletin de vote vaut copie d'examen, et de notre réussite collective à ce concours pour l'avenir dépend le bonheur collectif ; - Avant de t'attaquer à ton voisin, vérifie avec lui que vous êtes vraiment en désaccord, explique-lui ce que tu ressens, comprends-le et discute avec lui de ce qui te fait souffrir dans la situation : ton chômage, la pollution, les féminicides, le cancer de ton môme, ton découvert, ton mal-être ne sont pas forcément dus au SDF qui n'a plus que sa bouteille à laquelle s'accrocher ou que ce gitan qui est prêt à tout pour quelques euros afin de survivre, ou que ce réfugié qui se cache pour ne pas être renvoyé à la mort dans son pays ; la difficulté pour ton enfant à s'épanouir à l'école n'est pas non plus nécessairement de la seule responsabilité d'un enseignant malveillant. Quand tu fais face à un problème, comprends ses causes, si tu veux le résoudre. Ne te débats pas dans les apparences, mais affronte le réel. Sois le tsunami qui balaiera les obstacles entre les humains et le bonheur." (Inspiré de PT)
* __ Morceaux choisis: Ici (avec ça) __Là__ Ici __Et aussi... Ça urge _________________