Faut-il sauver l’amitié franco-allemande?
__________________________________________Partnerschaft plutôt qu'amitié, terme peu utilisé Outre-Rhin.
Ich liebe dich, aber..
____Selon Hans-Olaf Henkel, l'euro tel qu'il fonctionne, comme monnaie unique (non comme monnaie commune), qui corsète le développement des autres pays de l'eurozône, dans un environnement concurrentiel sans solidarité, accentue l'hégémonie économique, mecantiliste, de son pays. Selon lui et d'autres Allemands, "le temps est venu de reconnaître que l’euro a échoué non seulement dans
sa vocation économique mais aussi dans sa vocation politique. N’était-il
pas censé contribuer à l’intégration européenne et à la paix ? Au lieu
de cela, les divers plans de sauvetage de l’euro ont obligé l’Allemagne à
endosser le rôle de bailleur de fonds, l’autorisant ainsi à sermonner
ses débiteurs potentiels, dont la France..".
Depuis De Gaulle notamment, pour qui l'intérêt d'abord dictait le rapprochement entre les deux pays, l'amitié franco-allemande n'a jamais été un long fleuve tranquille, malgré les discours de circonstances. De Karl der Grosse à Frau Merkel, des tensions ont toujours existé entre les deux pays, depuis la fin de la guerre plus particulièrement, entre des périodes plus calmes. Aujourd'hui, elles atteignent une haute intensité, à tel point que l'Allemagne commence à s'inquiéter de son image de marque en Europe.
__Mais une Europe sans l’Allemagne n'est pas concevable.
Les deux pays sont condamnés à s'entendre, mais sur quelles bases, dans quelles conditions?
Sur la base de quelle Europe à refonder? La question est d'autant plus pressante que les élections proches outre-Rhin vont probablement ramener au pouvoir la droite libérale et sa représentante à la chancellerie, le SPD payant le prix de ses erreurs et de son inertie.
___Dans l'Europe telle qu'elle est , avec l'euro tel qu'il est, la domination allemande, sa puissance commerciale, est d'abord celle d'un modèle mercantiliste, plus orienté vers un grand Est que vers l'Ouest . [ L’Allemagne n’est en rien une puissance dont l’investissement
productif est exceptionnel... L’Allemagne a pu négliger un investissement
productif intense grâce à l’effort productif de ses voisins
Est-européens dont elle a profité en se plaçant en situation
d’assemblage final. C’est ce qui explique que le taux d’investissement
de l’Allemagne puisse être aussi faible ou à tout le moins très éloigné
du poids de son commerce en Europe et dans le monde. Il faut en tirer un certain nombre de conclusion : les performances
commerciales allemandes auraient été infiniment plus faibles si
l’Allemagne avait du compter sur le seul Made In Germany. Au dumping de
la baisse des salaires, c’est ajouter un dumping de l’investissement que
l’Allemagne n’a pas supporté. La compétitivité de l’Allemagne a
résulté et de la modération salariale et des avantages résultant d’un
effort productif plus important de ces sous-traitants.]
" En proie à leurs élans de puissance caractéristiques, et en cela semblables à leurs homologues de tous les autres pays,
les entreprises allemandes s’efforcent d’éliminer leurs concurrents,
luttent pour la capture de la plus grande part de marché et,
conformément à la pure et simple logique (en tant que telle a-nationale) du capital,
cherchent systématiquement l’avantage compétitif susceptible de leur
assurer la suprématie économique. Il n’est besoin d’aucune hypothèse
supplémentaire pour rendre raison de ce fait, besoin d’invoquer aucune
pulsion nationale de domination, puisque en l’occurrence la
pulsion de domination est inscrite au cœur même de la logique du capital
et, portée par les entités privées du capital, se suffit amplement à
elle-même. Aussi peut-on dire qu’il y a assurément projection de
puissance des pôles capitalistes allemands, mais hors de tout projet national de puissance..."
______Beaucoup d'Allemands savent que leur pays n’est pas exemplaire. Mme Merkel ne fait que prolonger et amplifier la politique de Mr Schröder, avec ses conséquences, comme le reconnait Die Linke , pour qui "Les injustices sociales taraudent la société allemande".
Le faible chômage des jeunes en Allemagne est un trompe l'oeil. Beaucoup de femmes sont précarisées et la situation de nombreux retraités n'est pas enviable. La faible natalité n'est pas de bonne augure pour l'avenir.
Certains vont jusqu'à se demander si le but de la droite la plus libérale, marginalisant les parternaires européens, n'est pas de lâcher l'Europe.
__C'est bien le statut de la monnaie unique et la rupture avec l'ordolibéralime, qui sont d'abord en question.
Mais on peut être sceptique sur des solutions à court terme:
"...Ni l’alternance ni le dépassement fédéral ne règleront (pourtant) quoi
que ce soit au problème congénital de la construction monétaire
européenne, problème d’une participation allemande originellement placée
sous le signe de l’ultimatum : « à mes conditions ou rien ».
Malheureusement pour nous, ces conditions ont consisté précisément en la
neutralisation constitutionnelle des possibilités de la politique
conjoncturelle… Or les conditions de l’Allemagne n’étaient pas
négociables au départ ; elles ne le seront pas davantage en cours de
route, car elles sont la part d’elle-même que l’Allemagne s’est promis
de ne pas abandonner : l’adoption pure et simple de son modèle
ordolibéral de politique économique et d’organisation monétaire a été
posée dès le début comme le sine qua non de son entrée dans la monnaie unique. La France a dit oui. Le reste s’en est suivi.
Cette donnée est infiniment plus puissante que les alternances
électorales en Allemagne, auxquelles d’ailleurs elle donne leur cadre,
et se trouverait transportée à l’identique dans tout projet de
« dépassement fédéral » qui inclurait l’Allemagne, l’ultimatum originel
se trouvant logiquement reconduit à chaque nouvelle étape. C’est
pourquoi imaginer qu’il soit possible de revenir de sitôt là-dessus
tient du rêve éveillé. Car la résolution allemande en cette matière n’a
pas faibli, peut-être même a-t-elle gagné en force avec les déconvenues
de la crise et les obligations de sauvetage où elle s’est trouvée
entraînée. Mais l’obsession monétaire allemande est devenue le point de
cécité volontaire européiste qui n’a plus le choix qu’entre la
dénégation ou bien faire comme si de rien n’était — comme si
l’indépendance de la banque centrale, l’exclusivité de ses missions
anti-inflationnistes et l’orthodoxie budgétaire, entrées dans « la
nature des choses », n’avait jamais rien eu de spécifiquement
allemand...
Le grand mythe collectif allemand de l’après-guerre est monétaire —
point d’investissement de substitution d’un sentiment national interdit
d’expressions patriotiques chauvines après la défaite. Objet de fierté,
et objet de trauma aussi, du moins selon l’histoire que se raconte — à
tort — le roman national allemand, en cela sujet aux mêmes distorsions
délirantes que le roman familial des psychanalystes. Car le roman
allemand tient l’hyperinflation de 1923 pour la matrice du nazisme,
alors qu’il faudrait bien davantage la chercher dans la Grande
Dépression de l’austérité Brünning — en effet 1931 est plus près de 1933
que 1923… Mais peu importe le bien-fondé de l’histoire que se raconte
la société allemande : elle se la raconte, et c’est là la seule réalité
symbolique qui compte. Or la force du trauma allemand a rendu non
négociables ses propres obsessions monétaires, et soumis les autres pays
européens à l’ultimatum de devoir les partager ou bien rien..." (F.Lordon)
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