Auteur connu de La société du risque, disparu trop tôt, il laisse une oeuvre inachevée.
Un penseur de notre époque, essayant de comprendre à sa manière les tendances lourdes et les mutations de nos temps difficiles.
Fukushuma avait constitué un tournant dans sa pensée, mais aussi les dérives d'une mondialisation sauvage et d'une Europe sans projet. Vigie en alerte sur le pont d'un bateau sans boussole, il s'efforçait d'informer ses contemporains sur les risques nouveaux engendrés par nos sociétés hypercomplexes.
Son cosmopolitisme, comme projet rénové et en recherche, lui semblait être est la projection d'une tendance historique inédite, inhérente aux relations nouvelles qui se créent sur un unique planète.
Que l'on soit ou non parfois en accord avec certaines de ses thèses, notamment sur la nécessité d'un saut fédéral européen, ses analyses restent stimulantes.
________ Il avait mis en garde, avec d'autres, la chancelière de son pays de faire cavalier seul, dans une Europe déséquilibrée et sans vraie démocratie interne.
En avril 2010, Ulrich Beck, comme Allemand luttant contre un conformismr pesant, estimait que Merkel « à l'instar du président américain George W. Bush, qui utilisa la logique du risque pour dicter au reste du monde son unilatéralisme par une déclaration de guerre au terrorisme, (…) a utilisé le risque financier en Europe pour imposer au reste de l'UE la politique allemande de stabilité ». L’écologiste Joschka Fischer, ancien ministre des Affaires étrangères (98-05), a, lui aussi, tiré la sonnette d’alarme en juin 2012 : « nous, Allemands, comprenons-nous notre responsabilité paneuropéenne ? Cela ne semble vraiment pas être le cas. En fait, l’Allemagne a rarement été aussi isolée qu’aujourd’hui. Quasiment personne ne comprend notre politique d’austérité dogmatique, qui va à l’encontre des expériences passées, et nous sommes considérés comme faisant fausse route ou comme étant franchement à contre-courant ».
Comme Wolfgang Münschau, il critiquait une sorte de consensus de Berlin.
Il estimait que la politique économique de la droite allemande condamnait l' Europe à l'anorexie.
Il avait créé l'expresssion Merkaviel, pour signifier une gestion réaliste-cynique d'une politique surtout centrée sur ses propres intérêts à court terme.
Il a fallu plus de six mois pour traduire en français le bref essai d'Ulrich Beck sur l'Europe allemande (Autrement). C'est un laps de temps suffisant, à l'échelle de la crise européenne, pour que le travail du sociologue allemand ait un léger goût daté. Aujourd'hui, la « relance » de l'Europe par François Hollande a du plomb dans l'aile, et la pression des marchés financiers sur les États les plus endettés s'est – pour combien de temps ? – estompée.
Si certains paramètres du livre sont devenus caducs, sa thèse reste, elle, d'une actualité majeure : « L'Europe est devenue allemande », tempête Ulrich Beck, qui s'inquiète de voir Angela Merkel, « la reine sans couronne de l'Europe », piétiner les valeurs du continent. Il y aurait donc urgence à bâtir un nouveau « contrat social européen », en réaction à cet impérialisme.
L'auteur estime « briser un tabou », à l'approche des élections allemandes (septembre 2013) et européennes (mai 2014) : « La nouvelle puissance allemande en Europe ne repose pas comme jadis sur l'emploi de la violence en dernier recours. Elle n'a pas besoin d'armes pour imposer sa propre volonté à d'autres États. (…) Cette nouvelle puissance qui se fonde sur l'économie a beaucoup plus de marge de manœuvre ; nul besoin d'envahir le pays, elle y est omniprésente. »
Cette description des « nouvelles coordonnées du pouvoir » s'accompagne d'une vive dénonciation de la manière dont la crise est gérée depuis quatre ans, tout en austérité : « Dans quel monde, dans quelle crise vivons-nous donc pour qu'une telle mise sous tutelle d'une démocratie par une autre n'éveille aucun sursaut ? » s'interroge-t-il, après avoir évoqué le vote décisif du parlement allemand, en février 2012, débloquant une nouvelle aide à la Grèce.
« Dans l'orgueil que les pays du Nord montrent à l'égard de ceux du Sud, supposés paresseux et indisciplinés, se révèlent un oubli de l'Histoire assez brutal ainsi qu'une ignorance culturelle. (…) Les Allemands ont-ils oublié à quel point l'histoire de leurs idées et de leur pensée est redevable de l'Antiquité grecque ? » poursuit le sociologue.
Ulrich Beck s'était fait connaître du grand public en Allemagne en 1986, année de la publication de La Société du risque (tardivement traduit en 2001 en français). Dans ce classique contesté, il décrit les sociétés modernes comme des « manufactures à risques », et théorise le basculement, pour le dire très vite, d'une société industrielle à une société du risque, dominée par la peur.
Comment en est-on arrivé à cette « Europe allemande » ? Pour Beck, c'est justement la « logique du risque » qui aurait joué à fond. Le scénario redouté d'un effondrement économique, et d'une désintégration de l'union monétaire, a servi de prétexte formidable. Il a installé un « état d'exception » en Europe, autorisant certains à prendre des décisions en dehors de toute légitimité démocratique. Ce « risque lié à l'euro » a légitimé une autre forme d'action politique, hors des cadres traditionnels de la légalité.
Dans cette phase de transition incertaine ouverte par la crise, les « bâtisseurs de l'Europe », partisans d'un « saut fédéral » vers plus d'Europe en réponse à la crise, ont tenté de faire gagner leurs idées – en vain jusqu'à présent. De l'autre côté du spectre politique, les souverainistes ont « le droit constitutionnel national » avec eux, mais ils ne détiennent pas pour autant la « réponse à la menace qui pèse sur l'Europe », juge Beck. Conclusion : c'est la chancelière Merkel qui engrange les bénéfices de cette « logique du risque » – ou plutôt « Merkiavel »... (Mediapart)
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