Mais pas bien du tout...
L'alarme sonnait depuis longtemps.
Le gouffre est maintenant là.
Le mastodonte Areva s'embourbe lourdement en Finlande, multiplie les impairs à Flamanville , piétine à Cadarache dans un projet incertain.
Malédiction? Non,le groupe est plombé par des erreurs stratégiques.
"Atomic Anne" n'y est pas pour rien... ni les absurdes et ruineuses guéguerres avec EDF.
3 milliards partis en fumée en Afrique (affaire Uramin, un aspect de la diplomatie parallèle d'Areva en Afrique).
Des surcoûts exorbitants.
Un déni qui ne peut plus durer. La transparence n'est pas au rendez-vous.
Un tel fiasco industriel que certains s'interrogent sur l'avenir du groupe.
Une aventure dont on ne voit pas le bout.
La vétusté et l'obsolescence des centrales françaises posent problème
Fukushima n'a pas fini de produire ses effets.
Ségolène Royal vient d'annoncer le renouvellement du parc nucléaire et la création de nouvelles synergies.
Cela pourra-t-il sauver une industrie toujours plus contestée?
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(*)- Depuis des décennies, les écologistes dénoncent le triple mythe du nucléaire français : une indépendance énergétique factice puisque dorénavant 100%
de l'uranium consommé est importé ; une sécurité devenue très relative
depuis que, suite à la catastrophe de Fukushima, l'Autorité de sûreté
nucléaire confirme qu'un accident nucléaire majeur est possible en
France ; et une électricité prétendument bon marché, mais de fait
largement subventionnée par de nombreux artifices juridiques.
La quasi-faillite dans laquelle est plongée Areva est venue confirmer ce que son défunt président du directoire, Luc Oursel, déclarait il y a quelques mois devant la commission d'enquête parlementaire sur les coûts du nucléaire dont j'étais rapporteur : le business model
du nucléaire s'est écroulé. Les populations demandant toujours plus de
sécurité face au risque nucléaire insoutenable, le coût des
installations ne cesse de croître, et sa compétitivité s'est évanouie
face à des énergies renouvelables dont le coût ne cesse de décroître.
Cette commission d'enquête a mis en évidence la courbe dangereusement ascendante des coûts du nucléaire. Le rapport
que la Cour des Comptes avait publié à notre demande montre une
explosion des coûts d'exploitation des centrales françaises : + 21% en 3
ans, largement dûe au vieillissement des installations et aux
difficultés de maintenance rencontrées par EDF. Ce rapport a aussi mis
en évidence le mur d'investissement nécessaire à la remise à niveau du
parc (le fameux « Grand Carénage ») : 110 milliards d'euros (et non 55
comme le prétendait le PDG d'alors de l'entreprise)... et cela alors
même que la dette d’EDF est déjà critique et sans la moindre garantie
que ces investissements permettent de prolonger les installations
au-delà de 40 ans !
En effet, l'Autorité de sûreté (ASN) ne rate
jamais une occasion de rappeler qu'il n'y a aucune garantie que les
réacteurs puissent être prolongés. La cuve des réacteurs impossible à
changer, et qui s'abîme sous le bombardement neutronique, pourrait bien
constituer le maillon faible… à l'image de ce que subissent nos voisins
belges qui découvrent que leurs réacteurs comportent des milliers de
"micro" fissures, dont certaines de près de 20 centimètres ! Et, à
supposer que l'Autorité de sûreté autorise la prolongation de certains
réacteurs, cela ne pourrait être qu'au prix d'investissements coûteux :
en effet, l'ASN estime que le niveau de sûreté de ces installations
devrait être porté au niveau de l'EPR (pour un coût prévisible de
l'ordre de 1 à 4 milliards par réacteur selon le cabinet WISE).
Un parc vieillissant, un coût du nucléaire neuf prohibitif
Dans de telles conditions, il convient, ne serait-ce que pour
épargner les deniers publics, de se demander si ces sommes faramineuses
ne seraient pas mieux investies dans des moyens de production
électriques alternatifs.
Certains imaginent de remplacer le
nucléaire vieux par du nucléaire neuf. Examinons cette hypothèse. Le
seul réacteur alternatif existant est l'EPR. Sa construction se déroule
dans de telles conditions catastrophiques (en France comme en Finlande)
qu'EDF se refuse dorénavant à donner une date de mise en service et un
budget définitif (il a déjà été multiplié par 3), et encore moins un
prix du MWh produit. On peut cependant en avoir une évaluation au regard
du contrat pharaonique qu'EDF vient de conclure avec l'Etat britannique
(au prix d'un engagement extraordinairement risqué pour les
consommateurs du pays) garantissant un prix d'achat du MWh pendant 35
ans qui est déjà le double du prix de l'électricité dans le pays... et
près de 30% supérieur au prix du MWh produit par l'éolien !
Puisque l'EPR trop cher est quasi-mort-né, on nous parle aujourd'hui
pour le remplacer, d'un EPR light ("optimisé" dans le jargon) dont
personne ne connaît ni la faisabilité, ni le coût et encore moins
l'acceptabilité par l'ASN. En tout état de cause, si ce chantier était
lancé, il faudrait non seulement finaliser le dossier mais ensuite
commencer par construire un prototype... on en a au moins pour 15 ans !
Quant à la mythique quatrième génération, qui tente de faire renaître
l’éphémère Superphénix (qui s’était surtout caractérisé par ses pannes à
répétition et sa dangerosité), si tant est qu'elle voit un jour le
jour, elle ne serait opérationnelle que vers la fin du siècle, et pour
un coût de production que personne ne se risque à prétendre compétitif.
La relève en matière nucléaire apparaît donc particulièrement fragile
et extrêmement coûteuse. Pas étonnant dans ces conditions que le déclin
de la filière soit si visible au niveau planétaire : alors que le
nucléaire pesait pour plus de 18% de l’électricité mondiale, sa part ne
cesse de décroître et avoisine aujourd’hui les 11%.
Pour comparer les filières de production, faisons la vérité des prix
Car si le lobby nucléaire a indéniablement réussi à brider les
énergies renouvelables sur le territoire national, il n'en a rien été
dans le reste du monde. Celles-ci connaissent dorénavant une croissance
exponentielle à mesure que leurs coûts diminuent : en 2014, les deux
tiers des installations électriques nouvelles dans le monde étaient
renouvelables, et dès l'année prochaine les renouvelables électriques
produiront dans le monde deux fois plus d'électricité que le nucléaire.
En France même, les projets renouvelables les plus récents permettent de
produire une électricité moins chère que celle qui sortira de l'EPR. Et
ces coûts continuent de décroître, quand ceux du nucléaire ne cessent
d'augmenter.
La comparaison apparaît encore moins flatteuse si on met l’ensemble
des coûts sur la table : ceux payés par le consommateur, mais aussi ceux
pris en charge depuis des décennies par le contribuable. Pour
entretenir la flamme du nucléaire bon marché, le nucléaire a en effet
bénéficié pendant des décennies de la complaisance des pouvoirs publics
qui ont fait prendre en charge par la collectivité l'essentiel de ses
coûts dans quatre domaines très coûteux : la recherche (50 milliards sur
50 ans), la gestion des déchets (notamment le projet Cigeo dont le coût
pourrait être multiplié par 2), le démantèlement (dont le coût en
France est largement sous-estimé au regard des autres pays nucléarisés)
et l'assurance face au risque (quasi intégralement à la charge de la
collectivité qui devra assurer évacuation et réparation, comme on l’a vu
à Tchernobyl ou à Fukushima). Certes, des artifices juridiques
permettent à EDF de prétendre assurer ces financements, mais la Cour des
Comptes – et même les propres commissaires aux comptes d'EDF – ont
attiré l’attention à plusieurs reprises sur le décalage très important
entre coûts réels et coûts annoncés.
Au moment où la France doit faire des choix cruciaux quant à son
avenir énergétique, c’est bien l’ensemble de ces coûts qui doivent être
mis sur la table, filière par filière, pour que la collectivité soit en
capacité de choisir la voie la plus pertinente pour son avenir.
La France ne peut rater la révolution énergétique mondiale
Dans ces conditions, on ne peut que s'interroger sur les motivations
de ceux qui, contre vents et marées, continuent de vouloir brider
l'indispensable diversification électrique française. Les enquêtes qui
entourent la faillite d'Areva (et le fait qu'elle ait été masquée aussi
longtemps aux décideurs) permettront de savoir quelle est la part
d'aveuglement idéologique et quelle est la part des conflits d’intérêt
qui ont présidé aux choix effectués par l'entreprise.
_____________Mais, sans
attendre, une question plus urgente se pose : peut-on laisser Areva
entraîner dans sa chute le fleuron industriel national que constitue
EDF ? Au moment où le monde entier passe à Internet (les énergies
renouvelables), la France peut-elle se permettre d'en rester à son vieux
Minitel (le nucléaire) et risquer de rater la mutation industrielle
majeure de ce siècle, avec tout cela comporte d'enjeux en terme de
compétitivité, de marchés à l'international, et donc d'emplois pour
aujourd'hui et pour demain ?
Qui peut croire que c’est en restant cramponné aux vieilles
certitudes qu’on s’adaptera au mieux aux mutations que les nouvelles
technologies imposent à tous les secteurs industriels ? Au moment où
Velib, Bla-Bla-Car ou Uber obligent les services usuels de transports à
s’adapter, au moment où Mediapart et les réseaux sociaux obligent les
médias traditionnels à s’adapter, au moment où Amazon et la vente en
ligne obligent la Fnac, les libraires, et la grande distribution à
s’adapter... qui peut croire que les grandes compagnies énergétiques
basées sur les énergies de stocks (charbon, pétrole, gaz, uranium) vont
pouvoir rester statiques face à l’émergence des énergies de flux et les
réseaux intelligents ?
Si EDF continue de proposer des EPR plutôt qu'une offre de service
énergétique combinant maîtrise de l’énergie, renouvelables, stockage,
effacement, réseau intelligent, il restera aussi crédible que le
commercial qui proposerait au consommateur d’aujourd’hui d’acheter un
Minitel plutôt qu’une tablette et en le payant trois fois plus cher ! On
aura beau construire des lignes Maginot, en prétendant que le nucléaire
en marinière serait une excellence française, la réalité éclatante aux
yeux du monde entier est que l’entreprise phare du nucléaire français
connaît une faillite retentissante dont le discrédit rejaillit sur
l’ensemble de la filière nationale (il n’est que voir les inquiétudes
émises par les Britanniques sur le devenir du projet Hinkley Point, ou
par les Turcs sur celui de l’Atmea).
La France a pourtant des
atouts considérables : un formidable potentiel en énergies renouvelables
(solaire, trois régimes de vent, des énergies marines, hydrauliques,
biomasse, géothermie) en métropole et dans ses îles ; des innovateurs
qui ont été et restent à la pointe en matière d'énergie (notamment le
CEA en ce qui concerne le stockage ou les cellules photovoltaïque à haut
rendement) ; et des entreprises dont l'Etat, en tant qu'actionnaire,
peut influencer la politique industrielle.
A quelques mois de la COP21 sur le climat à Paris, il est temps que
l'Etat joue son rôle de stratège dans ses entreprises à capitaux
publics, à commencer par son principal énergéticien. Profondément
endetté, EDF n'a pas les moyens de s’engager dans la transition
énergétique si elle doit mener de front la remise à niveau de ses
centrales, la construction d'un nouveau parc (en plus de ses projets
dispendieux à l’étranger) et le sauvetage d'Areva.
D’autres industriels – EON, Siemens, GDF-Suez – ont fait
clairement le choix de privilégier le monde de demain plutôt que celui
d’hier.
Si l'Etat veut éviter à EDF le marasme dans lequel s'enfonce Areva,
il doit faire des choix clairs et donner pour feuille de route à
l’électricien le triptyque « maîtrise de l'énergie - énergies
renouvelables - décentralisation et réseaux intelligents ». Il en va de
la sauvegarde de l'entreprise, de l'indépendance de notre production
électrique, mais aussi des centaines de milliers d'emplois en jeu, les
secteurs industriels de la transition énergétique étant particulièrement
intensifs en emplois..."
__Une équation difficile._________________________________________
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