Mais que faisait-il dans cette galère ?
Plus on avance dans l'élucidation de ce feuilleton à tiroirs, presque incroyable, plus on se perd dans des méandres compliquées, bien que certains points s'éclaircissent peu à peu, au cours d'une investigation qui fait son chemin. On n'en revient pas.
Pour ce que l'on sait déjà, il apparaît que les rapports avec l'Elysée ne furent pas des plus clairs dès le début et que la Macronie n'en n'a pas fini avec cette compromission et cet imbroglio, dont elle semble ne pas pouvoir se dépétrer.
L’affaire Benalla poursuit Emmanuel Macron comme son ombre.
Point de vue:
« Ce quinquennat est fragile, fragile, fragile », déclarait Philippe Grangeon en mars 2018, huit mois avant le mouvement des « gilets jaunes ». Ce fidèle d’Emmanuel Macron, qui plaidait depuis le début du quinquennat pour de meilleures relations avec les corps intermédiaires, va rejoindre l’Élysée en tant que conseiller spécial à partir du 4 février pour réorganiser la communication présidentielle. Mais n’est-ce pas trop tard ? Et s’agit-il seulement d’un problème de communication ? « Le Titanic avait un problème d’iceberg. Pas un problème de communication », a twitté un jour Paul Begala, l’ancien conseiller de Bill Clinton pourtant grand communicant devant l’Éternel.
Dans le cas d’Emmanuel Macron, le « problème d’iceberg » est d’autant plus sérieux que la coque du navire présidentiel est d’une fragilité de porcelaine. Et l’iceberg est jaune comme un gilet.
Conçu dans l’improvisation d’une campagne hypothéquée par la présence du Front national au second tour, lancé dans l’euphorie d’une prise de pouvoir romanesque et porté en haute mer sous les applaudissements d’éditorialistes acquis à sa cause, le navire présidentiel n’a pas tardé à montrer ses malfaçons.
Un premier ministre d’ancien régime, onctueux et ondoyant selon les circonstances, terriblement archaïque malgré son jeune âge, une majorité présidentielle brouillonne et incompétente, des ministres invisibles dont on a peine à retenir les noms et les visages, à l’exception de trois ou quatre personnalités tapageuses chargées du service après-vente de l’action gouvernementale. Sous des dehors affables et modernistes, le macronisme s’est révélé très vite cette entreprise vaine et toujours recommencée qui consiste selon Marx « à vouloir réaliser l’expression idéale, l’image transfigurée de la société bourgeoise ». Une société bourgeoise repeinte aux couleurs d’un néolibéralisme extrémiste, profondément inégalitaire qui cherche à s’imposer à une société fracturée par la crise financière de 2008.
Qualifié d’« ovni politique », de « nouveau Bonaparte », et même d’« Obama français », Emmanuel Macron est l’homme d’une restauration ratée. Il voulait revenir aux sources monarchiques de la Ve République, recharger la fonction présidentielle d’une aura perdue, tout en la faisant basculer dans un autre univers, différent de celui de la politique, l’univers managérial. D’où ce syncrétisme troublant qui emprunte aux univers symboliques de la monarchie et de la modernité résumée par la formule de la « start-up nation » et sa bimbeloterie de produits élyséens désormais en vente libre.
Menant sa campagne tambour battant, à la frontière du public et de l’intime, de la politique et du romanesque, s’efforçant d’exposer son combat comme sacré, Macron s’est présenté aux votes des Français comme un héros à la charnière de l’ancien et du nouveau monde, solennel et ambitieux, capable de résoudre par la magie des mots la « crise de notre temps ». N’appelait-il pas les Français au temps de sa campagne à « penser printemps », un printemps dont le seul signe perceptible est l’éclosion du jaune aux ronds-points…
Hissé à de telles hauteurs lyriques, il ne pouvait que redescendre, régresser au niveau d’un discrédit qui n’a pas cessé de s’approfondir en une spirale nourrie par la surdité du pouvoir et sa superbe. De l’incarnation à l’exhibition, Emmanuel Macron poursuit sa réduction présidentielle. Selon ses propres mots, il en est au stade de la scarification.
Ce discrédit est le produit d’un hiatus qui est au cœur de la crise actuelle des gilets jaunes : une gouvernance brutale sans souveraineté et une démocratie tapageuse sans réelle délibération. Impuissance d’agir et régression démocratique sont les deux coordonnées de notre misère politique, à l’image d’un grand débat national qui se donne à lire comme une performance et un show présidentiel.
Mais l’affaire Benalla poursuit Emmanuel Macron comme son ombre. Les gilets jaunes le cernent tels les oiseaux de Hitchcock. Entre son ombre et les nuées de gilets qui appellent à sa démission, le président s’efforce de donner le change en multipliant les interventions publiques. Devant des assemblées d’écharpes tricolores alignées comme au lever des couleurs ou en immersion au milieu des Français rameutés à l’occasion du grand débat, le président est en campagne, un président affable, pédagogue infatigable de la rhétorique néolibérale qu’il connaît sur le bout des doigts et à laquelle plus personne ne croit.
Ce
n’est ni un débat ni une discussion, c’est un one-man-show dans lequel
les questions qui lui sont adressées lui servent de tremplin. Il n’anime
pas le débat, il le mime. Le gouvernement a transformé le grand débat
national en « une opération de communication » au profit d’Emmanuel Macron… « Le grand débat est faussé », a déclaré Chantal Jouanno, la présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP). La plateforme internet « était prête, sauf qu’en fait, ils ont tout refait, dit-elle. On
n’avait pas prévu de faire une opération de communication, mais un
grand débat, donc on avait prévu de faire une plateforme numérique
totalement ouverte […] où tout le monde pouvait échanger sur n’importe
quel sujet ».......
Après celle de Jérôme Cahuzac qui avouait détenir un compte à l’étranger sur un répondeur téléphonique, après celle de Nicolas Sarkozy mis sur écoute par la justice dans l’affaire Bismuth ou enregistrée à son insu par son conseiller Patrick Buisson, une fois de plus c’est une voix enregistrée qui vient semer le trouble jusqu’au sommet de l’État
Ainsi de la conversation entre Alexandre Benalla et Crase, son comparse de la Contrescarpe. Et tout d’abord qu’elle a eu lieu. Comme la lettre volée d’Edgar Poe, l’enregistrement est en soi la preuve manifeste du délit. Benalla et Crase se sont bien rencontrés le 26 juillet dernier, à Paris, en violation manifeste du contrôle judiciaire qui leur interdisait tout contact.
Au cours de cette conversation Alexandre Benalla révèle, contrairement à ce qu’il a juré sous serment devant le Sénat, qu’il s’est personnellement impliqué, touchant de l’argent au passage alors même qu’il travaillait à l’Élysée, dans un contrat de sécurité avec un oligarque russe proche de Vladimir Poutine, par ailleurs soupçonné de liens avec la mafia. Enfin, l’indélicat conseiller se prévaut du soutien personnel du chef de l’État et de liens qui se sont prolongés avec l’Élysée pendant plusieurs mois après sa mise en examen.La violation du contrôle judiciaire, le parjure devant le Sénat, les liens éventuels avec la mafia russe seraient couverts en quelque sorte par le soutien du chef de l’État exprimé selon les confidences d’Alexandre Benalla à Vincent Crase par un SMS d’Emmanuel Macron. « Le patron, hier soir, il m’envoie un message, il me dit : “Tu vas les bouffer, t’es plus fort qu’eux, c’est pour ça que je t’avais auprès de moi. Je suis avec Isma [Ismaël Emelien, conseiller spécial du président – ndlr], on attend Le Monde, etc.” », rapporte l’ancien collaborateur de l’Élysée, en allusion à l’entretien fleuve qu’il avait accordé à l’époque au quotidien du soir. « Donc le patron [Emmanuel Macron – ndlr] nous soutient ? » interroge alors Crase, l’ancien responsable de la sécurité de La République en marche. « Ah ben il fait plus que nous soutenir », réplique Benalla. « Il est comme un fou. (…) C’est énorme quand même », conclut-il ensuite, hilare.
Alexandre Benalla est un prisme qui permet de comprendre Emmanuel Macron au regard de son langage. « Tu vas les bouffer, t’es plus fort qu’eux. » Selon ses proches, le registre vulgaire ne relève pas seulement d’un calcul visant à se montrer proche des gens, accessible et populaire. Au contraire, en privé, Emmanuel Macron pourrait même se montrer très direct, voire cru, dans ses propos, « un vocabulaire sexuel très vert ».
Après celle de Jérôme Cahuzac qui avouait détenir un compte à l’étranger sur un répondeur téléphonique, après celle de Nicolas Sarkozy mis sur écoute par la justice dans l’affaire Bismuth ou enregistrée à son insu par son conseiller Patrick Buisson, une fois de plus c’est une voix enregistrée qui vient semer le trouble jusqu’au sommet de l’État
Ainsi de la conversation entre Alexandre Benalla et Crase, son comparse de la Contrescarpe. Et tout d’abord qu’elle a eu lieu. Comme la lettre volée d’Edgar Poe, l’enregistrement est en soi la preuve manifeste du délit. Benalla et Crase se sont bien rencontrés le 26 juillet dernier, à Paris, en violation manifeste du contrôle judiciaire qui leur interdisait tout contact.
Au cours de cette conversation Alexandre Benalla révèle, contrairement à ce qu’il a juré sous serment devant le Sénat, qu’il s’est personnellement impliqué, touchant de l’argent au passage alors même qu’il travaillait à l’Élysée, dans un contrat de sécurité avec un oligarque russe proche de Vladimir Poutine, par ailleurs soupçonné de liens avec la mafia. Enfin, l’indélicat conseiller se prévaut du soutien personnel du chef de l’État et de liens qui se sont prolongés avec l’Élysée pendant plusieurs mois après sa mise en examen.La violation du contrôle judiciaire, le parjure devant le Sénat, les liens éventuels avec la mafia russe seraient couverts en quelque sorte par le soutien du chef de l’État exprimé selon les confidences d’Alexandre Benalla à Vincent Crase par un SMS d’Emmanuel Macron. « Le patron, hier soir, il m’envoie un message, il me dit : “Tu vas les bouffer, t’es plus fort qu’eux, c’est pour ça que je t’avais auprès de moi. Je suis avec Isma [Ismaël Emelien, conseiller spécial du président – ndlr], on attend Le Monde, etc.” », rapporte l’ancien collaborateur de l’Élysée, en allusion à l’entretien fleuve qu’il avait accordé à l’époque au quotidien du soir. « Donc le patron [Emmanuel Macron – ndlr] nous soutient ? » interroge alors Crase, l’ancien responsable de la sécurité de La République en marche. « Ah ben il fait plus que nous soutenir », réplique Benalla. « Il est comme un fou. (…) C’est énorme quand même », conclut-il ensuite, hilare.
Alexandre Benalla est un prisme qui permet de comprendre Emmanuel Macron au regard de son langage. « Tu vas les bouffer, t’es plus fort qu’eux. » Selon ses proches, le registre vulgaire ne relève pas seulement d’un calcul visant à se montrer proche des gens, accessible et populaire. Au contraire, en privé, Emmanuel Macron pourrait même se montrer très direct, voire cru, dans ses propos, « un vocabulaire sexuel très vert ».
La violence verbale commune au président et à son ex-conseiller atteste d’une affinité entre les deux hommes, sinon d’un mimétisme. Ils ont un langage en commun. Leurs écarts de langage ne sont pas de simples dérapages. Le moi disait Freud est une « pauvre créature, devant servir trois maîtres ». Le monde extérieur se remplit de gilets jaunes, le ça Benalla n’en fait qu’à sa tête et le surmoi jupitérien est saisi de vertige. Pour le dire de façon imagée, la vulgarité de Macron, c’est l’expression du ça benallien qui se rebelle contre son surmoi jupitérien. Cela donne le choc incontrôlé de deux registres linguistiques. L’un se veut intello, pédagogue, modéré, l’autre profane, vulgaire, violent.
De l’affaire du Watergate aux micros du Canard enchaîné et aux écoutes de François Mitterrand, désormais c’est le président lui-même, ses ministres, ses conseillers qui sont écoutés et parfois trahis par leur propre voix. Nul besoin de cambrioleurs rocambolesques pour poser des micros, les progrès de la téléphonie mobile ont réduit à néant le champ des conversations à voix basse, les tête-à-tête discrets, les messes basses et les conciliabules.
Nicolas Sarkozy avait imaginé un subterfuge pour échapper aux grandes oreilles de la justice. Il communiquait avec son avocat Thierry Herzog au moyen d’un téléphone secret acheté au nom d’un certain Paul Bismuth. Peine perdue, la justice retrouva sa trace et mit sur écoute le soi-disant Bismuth. Mediapart publia des extraits de sept écoutes judiciaires de leurs conversations notamment celle où Me Herzog qualifie de « bâtards de Bordeaux » les juges qui avaient mis en examen l’ex-président dans le cadre de l’affaire Bettencourt.
Ces voix enregistrées, nous les écoutons, incrédules, fascinés, car elles disent la vérité du pouvoir. Et cette vérité est indécente. C’est la voix du cynisme et de la vulgarité chuchotée dans l’entre-soi. Nous les écoutons avides de connaître les informations qu’elles contiennent, mais aussi, pour leurs résonances et leurs interactions. L’enregistrement sonore a valeur de preuve. Ne dit-on d’une pièce à conviction qu’elle a parlé ? Et c’est bien le cas de ces voix ; elles parlent et nous disent sans ambages la vérité du pouvoir.
Les images de la Contrescarpe manifestaient cette brutalité emphatique qui n’appartient pas au registre du maintien de l’ordre, mais à une symbolique et à une esthétique, celles du catch. Une violence ostentatoire qui explique sans doute sa viralité sur les réseaux sociaux. Une violence surjouée devant une audience imaginaire. Benalla jouait pour lui-même un rôle vu au cinéma ou à la télé. Et cette scène à la fois réelle et imaginaire dévoilait la violence à l’œuvre sous le visage affable du pouvoir. Ce que confirme Alexandre Benalla lui-même : « C’était un film l’histoire quand même, hein ? », dans sa conversation avec Vincent Crase.
Les violences contre les migrants, les zadistes, les lycéens d’Arago ou des élèves de Mantes-la-Jolie, les violences contre les gilets jaunes… toutes prennent sens et trouvent leur cohérence dans une entreprise concertée d’intimidation – comme si l’État avait déclaré la guerre à toute la société. C’est en cela que l’affaire Benalla peut être qualifiée d’affaire d’État : parce qu’elle rend perceptible une certaine vérité de l’État et que cette vérité est « violence ». Violence ciblée contre toute tentative d’opposition politique. Mais aussi violence suspendue au-dessus de la tête de tout citoyen, dans une sorte de couvre-feu général. Plus personne n’est à l’abri.....
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- Success Story
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