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jeudi 7 novembre 2019

Nouvelle bulle... ('suite)


           ....  Les mesures prises après la crise de 2008 sont-elles suffisantes ? Certainement pas ! On a amélioré la transparence des marchés financiers et rendu plus robustes les banques mais on n’a pas fait l’essentiel : réduire le déséquilibre entre une sphère financière pléthorique et l’économie réelle.
    Depuis les années quatre-vingt, l’économie est déstabilisée à intervalles réguliers par les excès de la finance, avec des conséquences terribles dans le domaine social et maintenant dans le domaine politique. Le chômage et la précarité, les inégalités qui sont à des niveaux historiques aux Etats-Unis et dans certains pays d’Europe, la pauvreté, tous ces indicateurs sont au rouge, à des degrés divers bien sûr. La montée des populismes, c’est-à-dire de la colère populaire, est le miroir des crises financières et de leurs conséquences. Lors de la prochaine crise, ce sont les dirigeants politiques qui seront montrés du doigt et non les banquiers. Ils n’auront pas réalisé la feuille de route sur laquelle ils s’étaient engagés, notamment lors du G20 de Londres d’avril 2009. A l’époque on parlait de refonder le capitalisme. On en est loin !
     Si les dirigeants politiques faisaient l’effort de comprendre les enjeux de la finance, d’en connaître les mécanismes, les lignes pourraient peut-être bouger davantage à Bruxelles. Lorsqu’il était en charge des marchés financiers, Michel Barnier a fait cet effort. Aujourd’hui, les dirigeants recherchent avant tout le consensus et défendent leurs places financières. Quant au Parlement européen, il est cerné par les lobbies. Jean-Paul Gauzès, qui a été un rapporteur remarquable lors de la négociation de la directive sur les hedge funds après la crise, a dû tenir à l’époque deux cents rendez-vous avec des représentants des lobbies !
    Quand on fait le bilan des réformes, on peut considérer que l’on a seulement parcouru, aux Etats-Unis et en Europe, le tiers de la feuille de route établie par les G20 de 2008-2009. Dès le lendemain de la crise, on a nommé aux postes-clés des responsables qui ont assuré la continuité alors qu’il fallait une rupture. A la présidence du Conseil de stabilité financière, bras armé du G20, on a par exemple nommé deux anciens de Goldman Sachs, Mario Draghi puis Mark Carney. Obama s’est entouré de tous ceux qui avaient lutté contre l’encadrement de la finance du temps de Clinton. En France, on a tenu un double discours sur la réforme de la finance. Cette timidité dans les réformes, après une crise aussi grave, est une occasion manquée et nous allons le payer très cher.
     En trois ou quatre ans, on aurait pu beaucoup mieux encadrer les marchés financiers, réduire les volumes de produits dérivés, limiter les risques que font courir les hedge funds, tous domiciliés dans les paradis fiscaux, éviter que les fameux robots du trading à haute fréquence ne représentent la moitié des transactions sur les marchés d’actions, assurer un meilleur encadrement du shadow banking, qui représente tout de même 47% de la finance mondiale, mieux encadrer les nouveaux produits. L’encours des fonds indiciels (ETF) est par exemple passé de 700 milliards de dollars en 2007 à 4 500 milliards de dollars aujourd’hui. Or, ces fonds ont un effet d’accélération des tendances. On ne sait absolument quels seront leurs effets lors de la prochaine crise. De plus, ils prêtent tous leurs titres. A un instant donné, le FMI considère qu’un même titre peut être revendiqué par deux acteurs et demi… Que se passera-t-il si tout le monde clique en même temps pour récupérer son argent ? Des réformes simples étaient possibles sans risque de déstabiliser les marchés. Il manquait simplement la volonté politique. Lorsque les textes des réformes sont compliqués, c’est presque toujours parce que les lobbies ont demandé des exemptions.
    A côté de la réforme des marchés financiers, très insuffisante, on a il est vrai pris à bras le corps le problème des banques. Elles étaient complètement sous-capitalisées et n’avaient donc pas les moyens de faire face à des turbulences. Mais il s’agit d’une simple remise à niveau. Si les banques étaient à ce point sous-capitalisées en 2008, c’est parce qu’une réforme néfaste avait été adoptée le 26 juin 2004 à Bâle lors d’une réunion des banquiers centraux réunis sous la présidence de Jean-Claude Trichet. Je l’évoque parce que cette réforme demeure un très gros problème aujourd’hui. Il s’agit des règles qui président à l’allocation des financements bancaires dans le monde. Au cours de cette réunion, on a décidé deux choses. On a autorisé les banques à calculer elles-mêmes leurs fonds propres réglementaires à partir de modèles internes extraordinairement complexes et donc très peu transparents. On est là à mi-chemin entre régulation et autorégulation… Et on a accepté que les banques divisent les risques déclarés aux régulateurs en fonction de la qualité du risque. Cette réforme a eu trois conséquences. D’abord, la création monétaire a été considérable puisque, du jour au lendemain, on a pu faire quatre ou cinq fois plus de crédit aux multinationales. En zone euro, en quatre ans, la création monétaire a ainsi augmenté de 40% ! Ensuite, cela a aggravé les inégalités dans la distribution du crédit. Enfin, cela a donné immédiatement un pouvoir considérable aux agences de notation puisque la division des risques dépendait de la note attribuée. Jusque-là, la mission des agences de notation était de conseiller les investisseurs, pas de devenir un des régulateurs bancaires. Les conséquences de cette réforme ont donc été immenses. Quel dirigeant politique s’y est intéressé à cette époque ? Aucun ! Le Comité de Bâle, mesurant probablement les erreurs passées, a voulu réformer ce système à la marge depuis trois ou quatre ans, notamment en 2017. Il s’est heurté à une levée de boucliers de la part des banquiers centraux. La réforme adoptée est minime et elle ne sera applicable qu’en… 2028 !
    Les banquiers centraux ont également fait un véritable tir de barrage contre la réforme que Michel Barnier avait proposée en février 2015. Elle a été abandonnée l’année dernière. Cette réforme avait un double objectif : interdire les activités spéculatives des banques, ce qui aurait eu un effet dissuasif, et filialiser les activités les plus risquées, notamment certains produits dérivés, ce qui aurait eu pour effet de les rendre plus coûteux et de réduire ainsi les volumes traités par les banques. Bien sûr, cela se serait traduit par une baisse de rentabilité pour les banques, mais il faut savoir ce que l’on veut. Les produits dérivés sont une manifestation de l’hypertrophie de la finance. Il s’échange tous les quinze jours l’équivalent du PIB mondial sur les marchés de produits dérivés et 90% d’entre eux sont traités entre établissements financiers et non pas avec des entreprises !
    Les Etats sont-ils aujourd’hui mieux armés pour affronter une crise systémique ? C’est peu probable. Les banques centrales ont des marges de manœuvre beaucoup plus faibles qu’en 2008. Aux Etats-Unis, la Fed a une petite marge pour baisser ses taux mais en zone euro, au Royaume Uni et au Japon les marges de manœuvre sont nulles. On a même encore des taux négatifs en Allemagne ce qui n’a aucun sens et irrite profondément, et à juste titre, les épargnants allemands. De toute façon, on ne peut continuer indéfiniment cette fuite en avant dans la création monétaire. S’il suffisait de créer de la monnaie pour effacer les cycles, on le saurait depuis longtemps ! Cela ne peut que mal finir.
       Les gouvernements ont-ils, eux, des marges de manœuvre ? La dette publique mondiale est passée de 70% du PIB en 2000 à 107% en 2016, tout près du record historique atteint pendant la Seconde Guerre mondiale. On voit mal comment les gouvernements se lanceraient à nouveau dans une relance keynésienne. Cette dette n’est pas due pour l’essentiel à une mauvaise gestion des deniers publics comme on le dit trop souvent. Elle s’explique en grande partie par les crises financières des trente dernières années. Il y a un lien direct, une corrélation parfaite, entre la dette et les crises. Lorsqu’une crise financière éclate, on augmente les dépenses publiques pour soutenir la demande et lutter contre le chômage, les déficits publics se creusent et les dettes publiques augmentent. On baisse également les taux d’intérêt pour redonner confiance aux investisseurs et, après quelques années, les dettes privées des ménages, des entreprises, des institutions financières, recommencent à augmenter... Et une nouvelle crise survient du fait de l’excès d’endettement, notamment privé, ce qui exige relance keynésienne et taux zéro… Il existe une étroite corrélation diabolique entre les crises financières et l’endettement. Si on ne s’attaque pas au cœur du capitalisme financier pour tenter de renouer avec le capitalisme industriel, les déséquilibres ne cesseront de s’aggraver.
      L’augmentation des bilans des banques centrales est un fait entièrement nouveau. On est donc dans un univers inconnu. Pour prendre l’exemple de la plus grande banque centrale, la Fed, son bilan représentait entre 4 et 5% du PIB américain depuis la Seconde Guerre mondiale. Actuellement, il représente 22% du PIB. Les autorités monétaires américaines considèrent donc qu’il est urgent de réduire ce bilan. Il en va, estiment-elles, de la crédibilité de la Banque centrale. Warren Buffett a même dit un jour que la Fed devenait un « hedge fund » ! En zone euro, le bilan de la BCE représente plus de 40% du PIB, au Japon plus de 90%, en Suisse plus de 100%. La Banque Nationale Suisse achète toute sorte d’actifs en devises pour lutter contre la réévaluation du franc suisse, y compris des actions, alors que dans le même temps le gouvernement suisse pratique une politique d’excédents budgétaires qui a pour effet de réévaluer le franc suisse !      Voyez la logique de l’indépendance des banques centrales !
      En zone euro, la BCE est un animal particulier : en cas de pertes significatives, par exemple à la suite de la défaillance d’un pays de la zone qui engendrerait des pertes importantes, il faudrait l’unanimité des 19 Etats pour augmenter le capital. C’est un petit talon d’Achille. Les achats de titres de la BCE ont donc une limite, sinon elle sera plus fragile. La politique de quantitative easing va prendre fin. Elle ne pourrait être réactivée que de manière limitée en cas de crise. Pour sauver l’euro en 2012, Mario Draghi a procédé en deux étapes. Il s’est d’abord appuyé sur les banques de la zone euro en leur prêtant massivement à taux zéro ce qui leur a permis d’acheter de la dette publique et de faire baisser les taux, notamment dans les pays du Sud. A partir de 2015, il a lui-même procédé à des achats massifs. Plus exactement, il a demandé aux banques centrales nationales de la zone euro d’acheter des dettes publiques. Ce faisant, il a donné un grand coup de canif dans les traités européens qui interdisaient depuis l’origine à la Banque centrale de financer les Etats. 
    Le résultat de cette politique de la BCE, c’est qu’aujourd’hui les banques détiennent 17% de la dette publique, au lieu de 3% aux Etats-Unis, et les banques centrales 21% au lieu de 12% aux Etats-Unis. Le système bancaire européen est gorgé de dettes publiques (38% des dettes au lieu de 15% aux Etats-Unis). Dans le même temps, avec l’Union bancaire, on prétend que l’on a coupé le lien entre les banques et les Etats ! Nous avons créé une gigantesque bulle obligataire en zone euro dont une large partie est entre les mains du système bancaire...
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