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lundi 13 juillet 2020

Sur le fil du rasoir

Capitalisme en crise.
                                   Depuis ses origines, le système capitaliste, qui s'est mis en place au 19° siècle, a connu périodiquement des crises plus ou moins longues, plus ou moins profondes, de natures différentes dans la plupart des cas: crise de surproduction, crises bancaire comme en 2008...A tel point qu'on a pus dire dans les milieux d'affaires libéraux que la crise serait comme une nécessité, une loi du fonctionnement du système lui-même. De même qu'un organisme vivant peut connaître des périodes de crises, le fonctionnement du marché connaîtrait lui-même des périodes de ralentissement, voire d'effondrement inévitable.
    Mais la métaphore a ses limites. Car un marché, sous certaines conditions, peut-être régulé, ses effets potentiellement pervers peuvent être anticipés et évités. Ce n'est pas la main de Dieu qui le dirigerait secrètement, et il y a toujours des alternatives, si on se donne les moyens de l'analyser et d'agir dans un autre  sens souhaité. On sait par exemple que la folie spéculative et les surprimes menaient droit à un effondrement bancaire, non pas seulement rétrospectivement , mais quelques rares économistes avaient anticipé où nous menait la folie spéculative, comme Roubini ou Jorion. Mais l'aveuglement a prédominé, comme le signalait en son temps Roosevelt au sujet de la crise de 29.
       La crise qui nous arrive a cette particularité que ses causes ne sont pas endogènes. Elle est l'effet de facteurs essentiellement exogènes, naturels, que l'on a pas vu venir et qui met à mal des pans entiers de l'économie, surtout quand ils étaient déjà touchés défaillants ou fragiles.
         Certains économistes ont pu dire que cet événement de grande ampleur, de portée internationale, dont on voit mal l'issue, ne cause pas la crise dans laquelle nous entrons, mais la précipite plutôt, à un niveau rarement atteint.
      Difficile problème d'interprétation. Ce n'est pas seulement un simple choc entre l'offre et la demande.
       Comme le pense M. Husson, "...L’une des caractéristiques essentielles de cette crise est de diffracter l’économie, autrement dit de frapper inégalement ses différents segments. Les mesures globales sur le recul du PIB ne sont en effet qu’une moyenne d’évolutions très différenciées. Certains secteurs sont directement impactés par des mesures de fermeture pures et simples, notamment dans le commerce de détail non essentiel, d’autres le sont moins. Les calculs menés par l’OFCE [12] établissent qu’au niveau mondial la perte de valeur ajoutée irait de 47 % pour la branche hébergement-restauration à 7 % pour l’industrie agroalimentaire, et 3 % pour l’administration publique. Une autre étude [13] établit que ce sont les secteurs en amont dont l’activité recule le plus, autrement dit les secteurs les plus éloignés de la demande finale. Tout se passe donc comme si le virus «remontait les filières» en passant de l’aval («la demande») à l’amont («l’offre»).     Les dégâts n’ont donc pas été infligés «équitablement». Par exemple, les secteurs de services les plus frappés emploient en général beaucoup de main-d’œuvre, souvent à bas salaires, sur contrats précaires, pour qui le travail à distance est souvent impossible. Selon l’OCDE, plus d’un tiers des entreprises serait confronté à des problèmes de trésorerie après trois mois de confinement [14]. D’où des mesures de soutien (report des impôts, étalement des dettes, prise en charge d’une partie de la masse salariale). Mais une autre petite musique commence à poindre: la crise ne serait-elle pas une bonne occasion d’éliminer les entreprises «zombie» qui ne méritent pas de survivre? Trois économistes [15] ont même suggéré que ce serait aux banques de décider de leur sort, ce qui permettrait selon eux «un triage efficace, en préservant les entreprises socialement viables sans subventionner les entreprises zombie»              La même hétérogénéité apparaît entre pays. L’étude déjà citée de l’OFCE montre ainsi que le recul du PIB va de 36 % pour l’Espagne à 12 % pour le Japon. Mais il faut ici prendre en compte la transmission à travers les chaînes de valeur. Une étude évalue ainsi à un tiers environ la baisse du PIB résultant des chocs transmis par les chaînes d’approvisionnement mondiales. Comme cette baisse a été en moyenne de 31,5 %, «un pays qui n’aurait lui-même imposé aucun confinement, aurait enregistré une contraction moyenne de 11 % de son PIB en raison des confinements dans les autres pays [16]». C’est pourquoi on ne peut raisonner pays par pays: l’infographie ci-dessous est particulièrement éclairante sur ce point. Elle donne l’origine et valeur des composants étrangers incorporés à la production de véhicules assemblés en France. On constate une «forte interdépendance régionale (plus de 75 % des composants sont produits en Europe) qui rend impossible la production dans un contexte de confinement-déconfinement non synchronisé. L’arrêt de la production à un point de la chaîne paralyse le reste de la production, et ce d’autant plus vite que l’industrie fonctionne avec des niveaux de stocks très faibles qui ne permettent pas d’absorber le moindre ralentissement de la production [17].»         Cette extension de l’épidémie frappe de nombreux pays déjà confrontés à de redoutables difficultés économiques, qui sont encore aggravées par la crise actuelle: chute du prix des matières premières, fuite des capitaux, effondrement des taux de change, croissance de l’endettement. Pour ne prendre qu’un exemple, les pays d’Afrique dépensent plus dans le service de leur dette que pour la santé publique. A cela s’ajoute une crise alimentaire et sociale déclenchée par l’interruption des activités et aggravée par l’absence de revenus de complément, notamment en direction du secteur informel. Comme le dit l’ONG Grain, des millions de personnes sont forcées de choisir entre la faim ou le Covid-19 [19].      L’offensive différenciée du virus interdit d’envisager une reprise équilibrée, autrement dit une reprise où tous les secteurs redémarreraient en même temps et au même rythme....        Tout indique que l’on s’achemine vers des dispositifs qui feront de la masse salariale l’une des principales variables d’ajustement permettant de rétablir la profitabilité des entreprises. Réduction du chômage partiel, accords de maintien de l’emploi, allongement de la durée du travail, automatisation accélérée [24]: tous les indices sont déjà là de cette orientation. Cela veut dire qu’on vise à une reprise sans emploi, c’est-à-dire à relancer l’économie en réduisant au maximum les effectifs. Mais l’effet en retour est un frein à la reprise de la consommation: on ne peut en effet geler, voire baisser, la masse salariale et «en même temps» relancer la consommation. A moins que l’on compte sur une reconversion de «l’épargne forcée» des ménages dont le revenu a été à peu préservé, alors que leur consommation était «confinée». Le seul moyen d’éviter cette boucle récessive du côté de la demande conduit à une pérennisation et à une exacerbation des inégalités, dont on n’est même pas assuré qu’elle serait suffisante.        Ce cercle vicieux peut s’étendre à l’ensemble de l’économie européenne, voire mondiale. La désynchronisation des économies pose en effet la question de la coordination des réponses qui y sont apportées. Sur le plan sanitaire, force est de constater que la coordination a été à peu près inexistante: chaque pays a réagi à sa manière, et comme il le pouvait, alors même que le virus ne semble pas connaître de frontières. Cette question se posera de nouveau avec acuité quand on disposera d’un vaccin (ou de vaccins) et on ne peut qu’être inquiet à ce sujet, tant l’Union européenne s’en est jusqu’ici remise en matière de recherche à des partenariats avec des entreprises privées guidées par d’autres critères que l’intérêt public [25].                  Avec le redémarrage de l’économie, tous les pays vont chercher, avec des chances très inégales de réussite, de capter la fraction la plus importante possible de la reprise des échanges de marchandises. A court terme, le moyen le plus approprié est de gagner en compétitivité en baissant le «coût salarial»: certes, la compétitivité dépend de bien d’autres facteurs, mais sur lesquels on ne peut jouer de manière rapide. On se trouverait alors dans une configuration, somme toute classique, où tout le monde ou presque perd à ce petit jeu: on a déjà vu dans un passé récent des récessions «auto-infligées» par de telles politiques...."                  Reviendra-t-on au business as usual ou prendra-t-on la voie indiquée pas Macron lui-même se réclamant de l'Etat-providence?:  «il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour, interroger les faiblesses de nos démocraties. (…) Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché.» Ou encore: «une certaine idée de la mondialisation s’achève avec la fin d’un capitalisme financier qui avait imposé sa logique à toute l’économie et avait contribué à la pervertir. L’idée de la toute-puissance du marché qui ne devait être contrarié par aucune règle, par aucune intervention politique, était une idée folle. L’idée que les marchés ont toujours raison était une idée folle....»                              On peut raisonnablement penser que ce sont là paroles de circonstances. Comme celles de Sarkozy assurant en son temps que les conditions d'assainissement des banques étaient enfin réunies....
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