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mardi 23 mars 2021

Un pass nommé désir

 Passeport sanitaire pour bientôt? 

                              Qui n'en rêve pas? Pour sortir des contraintes de toutes sortes dans lesquelles nous enserre un virus souvent insaisissable, aux effets rebondissants, aux manifestations sournoises? Certains pays y songent pour favoriser les déplacements internes, les voyages et les échanges dès le début de cet été. Mais l'unanimité n'est pas là. Il y a même des divisions au sein des pays d'Europe, dans cette période faite encore de nombreuses incertitudes. Le manque de vision y est pour quelque chose, tant que l'état sanitaire est ce qu'il est: mouvant, incertain et transfrontalier; autant que le double régime qui pourrait être instauré, entre personnes et entre régions et pays. Le problème porte surtout sur la certitude de l'immunité obtenue véritablement. Pas simple...

             Comme le souligne Lise Bernéoud, "..;Le monde se divise désormais en deux catégories : ceux qui sont immunisés et ceux qui ne le sont pas. En parodiant la célèbre réplique du film Le Bon, la brute et le truand, on peut dire que les premiers sont censés résister au virus, voire ne plus le transmettre, les seconds peuvent encore engorger nos hôpitaux et répandre le mal autour d’eux.     Sauf qu’en réalité, dans la vraie vie comme dans le film, les frontières ne sont jamais tout à fait claires. Comment distinguer les uns des autres ? Sur quels critères biologiques peut-on s’appuyer ? Peut-on réellement affirmer que toute personne immunisée ne contaminera plus son entourage ? Et si l’on restreint certains pans de la vie sociale aux personnes non immunisées, quel impact peut-on en attendre sur la dynamique de l’épidémie ? Face aux différents projets de pass sanitaire, passeport vert ou certificat d’immunité, les questions scientifiques restent nombreuses.                                         _______Immunisé. Tel est donc le nouveau sésame indispensable, celui qui pourrait nous rouvrir les portes d’une vie normale. À l’époque romaine, l’immunitas représentait l’exemption des charges et des obligations imposées aux autres. Des privilèges, des dérogations au droit commun.     Appliquée au domaine biologique, l’immunité représente effectivement un privilège, une dérogation aux lois de la nature, en ce qu’elle nous protège des pathogènes. En temps de pandémie, détenir un certificat d’immunité fait même mieux que nous protéger du virus : comme à l’époque romaine, cela nous donnerait accès à tout un tas d’avantages interdits aux autres, comme le cinéma, les salles de sport, les restaurants, les concerts… Un ticket de sortie de crise, en quelque sorte.     Alors forcément, tout le monde le veut, ce ticket. Là où les choses se compliquent, c’est sur la question de savoir à qui on le distribue. Comment déterminer qui est immunisé et qui ne l’est pas, d’une manière plus juste qu’à l’époque romaine ? À première vue, on pourrait croire cette distinction facile : seuls sont immunisés ceux qui ont été vaccinés ou qui ont guéri d’une infection. Mais lorsqu’on entre dans les détails, on s’aperçoit vite que ce projet de pass sanitaire s’apparente à un casse-tête aux bases scientifiques flottantes.                ____Aujourd’hui, le gold-standard, le test de référence qui permet de juger du statut immunitaire d’une personne, est le taux d’anticorps qui circulent dans le sang. Plus précisément, le taux d’anticorps dits neutralisants, capables de neutraliser le virus. Ces anticorps sont considérés comme la garantie que si des virus commencent à se diffuser dans l’organisme, ils seront repérés puis détruits avant d’infecter nos cellules.     Les études montrent que plus de 90 % des personnes qui ont été infectées ou qui ont reçu un vaccin fabriquent des anticorps qui circulent ensuite dans leur sang les semaines suivantes. Premier problème : peut-on se contenter de détecter la simple présence d’anticorps ou faut-il mesurer leur quantité ?      De fait, la concentration en anticorps dans le sang des convalescents ou des personnes vaccinées varie d’un facteur 100, voire 1 000, selon les personnes ! Elle varie également dans le temps et présente une fâcheuse tendance à diminuer après plusieurs mois, jusqu’à devenir imperceptible chez certains, notamment chez les asymptomatiques. D’après une récente étude publiée dans Science portant sur 188 cas de Covid, 10 % d’entre eux n’avaient plus aucune trace d’anticorps six à huit mois après l’infection.     Faut-il dès lors fixer un seuil minimum, qui serait synonyme de protection effective ? Un tel seuil existe déjà dans le cas de l’hépatite B : l’OMS a fixé un taux d’anticorps appelés anti-HBs au-dessus duquel les personnes sont considérées comme immunisées. « Mais personne ne sait encore quel pourrait être ce taux dans le cas du Covid », fait remarquer Samira Fafi-Kremer, responsable du laboratoire de virologie du CHU de Strasbourg.        Une étude sur des macaques a tenté de fixer ce seuil, en les infectant une première fois puis en les exposant à nouveau au virus. Les chercheurs démontrent qu’en deçà d’un certain seuil, les singes ne sont plus protégés. « Mais ce seuil reste encore à préciser chez l’homme », explique Guy Gorochov, du Centre d’immunologie et des maladies infectieuses (Sorbonne université-Inserm).       « Tant que les techniques sérologiques ne sont pas standardisées entre elles pour qu’on puisse comparer les taux d’anticorps et tant qu’un seuil d’anticorps protecteur n’est pas clairement défini par des études scientifiques, il sera difficile de parler de taux d’anticorps protecteur », ajoute Samira Fafi-Kremer.      Pour autant, force est de constater que les cas de réinfection après des tests sérologiques positifs sont rares. Une étude portant sur 6 614 soignants anglais qui ont eu, entre juin et novembre 2020, un test sérologique positif, n’a observé que 44 cas de réinfection, soit moins de 1 % de l’effectif. Un test d’anticorps positif datant de moins de six mois semble donc un bon critère d’immunité.         En revanche, l’inverse n’est pas forcément vrai : un test négatif ne signifie pas forcément que nous ne sommes pas protégés contre la maladie. « On sait par exemple qu’après une dose de vaccin, 60 % des personnes sont protégées alors qu’elles n’ont pas encore d’anticorps circulants détectables », indique Stéphane Paul, responsable du département d’immunologie du CHU de Saint-Étienne, qui participe au Comité scientifique vaccins Covid.        Si ce n’est par les anticorps, par qui peuvent-elles bien être protégées ? Par d’autres protagonistes de notre système immunitaire. Les anticorps circulants ne sont pas, tant s’en faut, les seuls héros de notre immunité (lire Covid et immunité : des pistes négligées ?).        On peut compter par exemple sur les IgA, des anticorps qui ne circulent pas dans le sang mais dans les muqueuses : ils jouent un rôle important aux premières étapes de l’infection, lorsque le virus s’engage dans le nez ou la bouche.       On bénéficie aussi de l’appui des lymphocytes T, qui traquent quant à eux les virus déjà planqués à l’intérieur de nos cellules et qui semblent efficaces quels que soient les variants du virus (voir notamment cette étude). Ou encore des lymphocytes B à mémoire qui, comme leur nom l’indique, gardent en mémoire le pathogène et sont capables, si le virus se représente un jour, de fabriquer les anticorps spécifiques pour empêcher l’infection.           ____Dans l’étude de Science déjà citée, les chercheurs ont analysé tous ces marqueurs durant six à huit mois pour les 188 cas de Covid. Résultat : « Les simples tests sérologiques de détection d’anticorps anti-Sars-CoV-2 ne reflètent pas la richesse et la durabilité des réponses immunitaires », concluent les auteurs. Ainsi, environ 7 % des individus suivis ne possédaient plus d’anticorps circulants après six mois mais présentaient en revanche des IgA, des lymphocytes T et des cellules à mémoire.               Sont-ils pour autant protégés ? « Il n’est pas possible de tirer des conclusions directes à propos de l’immunité protectrice sur la base de la quantification [des différents acteurs de l’immunité] », préviennent les auteurs de l’étude, tout simplement parce que les mécanismes exacts de protection contre le Sars-CoV-2 ne sont pas encore bien connus. En outre, autant il est facile de tester la présence d’anticorps dans le sang, autant les analyses permettant de repérer les autres acteurs de l’immunité sont plus complexes à réaliser, plus chères et moins reproductibles.                                 _____ Mais il y a autre chose : qu’entend-on exactement par immunité protectrice ? Une protection contre les formes graves de la maladie ? Un bouclier contre l’infection ? Ou carrément une impossibilité de transmettre le virus ? « Les niveaux et le type d’immunité diffèrent selon que l’on considère la maladie, l’infection ou la transmission », explique Alessandro Sette, de l’Institut La Jolla d’immunologie, coauteur de l’étude de Science.         Par exemple, les anticorps, particulièrement ceux dans les muqueuses, peuvent s’attaquer au virus dès son entrée dans l’organisme : en l’empêchant de s’installer, ils préviennent donc sa transmission. À l’inverse, les lymphocytes T détruisent les cellules déjà infectées : ils contribuent donc à limiter la propagation de l’infection à l’intérieur de l’organisme, évitant ainsi les formes graves.                                                   Dans une optique de santé publique, empêcher la transmission interhumaine du virus est bien sûr la forme de protection idéale. Mais pour l’heure, nous manquons encore de données pour distinguer les personnes qui ne porteront plus le virus et ne pourront plus le transmettre à leur entourage. Même pour les vaccins, nous ne savons pas encore exactement à quel point ils empêchent les infections asymptomatiques, et donc la contamination.      Si l’absence de transmission est l’objectif numéro 1, alors les tests PCR ou antigéniques négatifs datant de moins de 48 heures sont l’idéal : c’est la preuve qu’aucune particule virale ne se loge dans nos fosses nasales. Leur utilisation pourrait se généraliser pour pouvoir accéder à des concerts, des événements sportifs ou pour prendre l’avion. Inconvénient : une personne peut s’infecter juste après le test. En outre, il faut répéter ces tests pour chaque événement particulier.        Dernier critère qui pourrait permettre d’obtenir un feu vert immunitaire : un test PCR ou antigénique positif de plus d’un mois, comme confirmation d’une infection passée. « Là, on descendrait d’un cran dans le niveau de preuve », estime Guy Gorochov. De fait, un test positif, on l’a vu, peut révéler de très faibles quantités de virus.         D’où la question : est-ce suffisant pour enclencher une réponse immunitaire efficace ? Récemment, deux études rétrospectives, l’une menée aux États-Unis sur plus de 150 000 personnes et l’autre au Danemark sur quelque 4 millions d’individus, montrent que les personnes qui ont eu un test PCR positif durant la première vague peuvent être réinfectées, mais bien moins fréquemment que les personnes n’ayant jamais croisé la route du virus. La protection offerte par une infection antérieure a ainsi été évaluée à 81,8 % aux États-Unis et à 80 % au Danemark. Cette protection n’était en revanche que de 47 % parmi les Danois âgés de 65 ans.     L’une des limites de ces études, c’est qu’elles ne distinguent pas la nature de la première infection : symptomatique ou asymptomatique. Or cette caractéristique pourrait influencer les résultats. De nombreux travaux vont en effet dans le sens d’une disparition plus rapide des anticorps chez les personnes infectées de manière asymptomatique.    D’après une étude menée en Italie sur 31 sujets exposés au virus sans avoir développé de symptômes, aucun anticorps n’était détectable chez environ 40 % d’entre eux. Ce taux montait à 80 % huit semaines après l’exposition. « Les tests PCR, comme les tests antigéniques, ne reflètent pas directement l’immunité », tranche François Anna, du laboratoire virologie moléculaire et vaccinologie de l’Institut Pasteur.                        Comment faire le tri le plus pertinent parmi l’ensemble de ces marqueurs ? « Il ne faut pas viser l’outil absolu, recommande Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale de l’université de Genève. Aucun critère ne permettra de s’assurer d’un risque zéro. L’idée n’est pas de bloquer toutes les infections mais de diminuer les risques. »    L’épidémiologiste français, qui vient de publier un panorama de l’épidémie de Covid-19 (Covid, le bal masqué, aux éditions Dunod), ajoute également que les critères pourraient être adaptés aux niveaux de circulation du virus : « Plus le virus circule, plus vous aurez envie d’un pass qui diminue le risque de manière substantielle et plus vous serez regardant sur les critères biologiques acceptés. ».....__________________________________

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