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mardi 13 décembre 2022

Et la lumière fut!

   Il ne fut pas le seul à se lancer, mon père, dans les coins de France où le relief le permettait.                                        Il fallait oser. Avec les moyens du bord, quelques connaissances, une certaine ingéniosité et une audace affirmée. Un certain nombre, impatients, se sont lancés, dans les années 1920, quand l'électricité n'était que le privilège des citadins.                                                                                                                                   Dès les années d'après-guerre, les barrages hydro-électriques commencèrent à se développer. On passa par étapes de la lampe à pétrole à l'ampoule à incandescence, du 110v continu au 220v alternatif. Certains particuliers commencèrent à se lancer à petite échelle. Avec les connaissances et le moyens de l'époque.   

         _______Des journalistes, soucieux de nouveauté, s'empressent d'écrire à leur sujet, se déplaçant sur les lieux où une turbine fonctionnait avec succès.     Comme ici, à Raon-aux-Bois;_  (Retranscription de l'article de presse original en plus clair. Merci à JM Mangin!)


31 octobre 192; L’Express de l’Est :

  •  Raon-aux-Bois. – L’électricité à la campagne.  --

Comment un jeune cultivateur vosgien a réussi à doter une ferme isolée de la force et de la lumière

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   Nous n’avons pas l’intention de reprendre dans tous ses détails la question de l’électrification des campagnes. Nos lecteurs savent qu’à chaque occasion nous avons appuyé le magnifique effort de l’assemblée départementale pour doter nos villages de la force et de la lumière et que nous avons toujours largement ouvert nos colonnes aux suggestions qui nous étaient adressées concernant un problème dont l’intérêt économique est depuis longtemps démontré.

   La majorité des communes vosgiennes – et nous le notons une fois de plus avec plaisir – a compris l’importance que représentait la question de l’électrification. Partout des syndicats se sont formés pour apporter cette amélioration aux conditions de la vie à la campagne et si le projet d’ensemble n’est pas encore définitivement réalisé chacun s’emploie pour en hâter l’application.

   Mais lors même que les Vosges entières seraient électrifiées, il resterait cependant dans nos arides montagnes des fermes perdues qui, en raison même de leur éloignement, et à moins de consentir de gros frais, ne sauraient bénéficier des bienfaits de la lumière et de la force électrique.

   C’est surtout pour ces isolés que nous voulons faire connaître les heureux résultats obtenus par un jeune Vosgien, intelligent et travailleur, M. Pierre Etienne (lire : Pierre THIRIET), de Raon-aux-Bois, qui, sans le secours d’aucun ingénieur, par ses seuls moyens, avec les quelques simples notions apprises dans les livres le soir à la veillée, notre compatriote a résolu le problème de l’électrification à la ferme.

Aux Prés Roussel

   Un sentier sinueux où la roche perce la chaussée s’amorce près de l’église de Raon-aux-Bois et par mille détours, glissant entre des haies, s’infiltrant sous bois, gagne l’extrémité d’un cul de sac : le lieu-dit << Les Prés Roussel >>. Proche le chemin qui va se perdre plus loin dans la forêt ; voici la ferme qu’exploite depuis de nombreuses années la famille Etienne. Sous son badigeon de chaux, elle parait plus blanche encore dans le cadre de vert sombre de la prairie qui l’entoure.

   Quand nous arrivons, après avoir au grand effroi de la volaille traversé la cour, la porte est close et seul le chien de garde tirant à plein collier sur sa chaîne nous accueille de ses abois furieux. Faut-il renoncer à visiter l’installation et redescendre en nous contentant d’avoir vu les fils électriques courir le long des murs ? Le métier de journaliste est fait heureusement de toutes les audaces et après quelques minutes d’attente nous visitons les travaux. Le frère de M. Etienne à qui nous rendrons visite plus tard à sa féculerie de Raon complètera notre documentation.

Une usine miniature

   C’est à son retour du régiment que M. Pierre Etienne eut l’idée d’utiliser la force des nombreux ruisselets qui sillonnent la petite vallée des Prés Roussel. Il tenta d’abord d’emmagasiner l’eau dans une ancienne retenue dont il refit la digue. Il avait à ce moment l’idée d’établir une petite turbine destinée à actionner un moteur. Mais il devait s’apercevoir bien vite que la chute dont il disposerait serait insuffisante et abandonnant les premiers travaux il dérivait à nouveau les ruisseaux pour les faire aboutir dans un réservoir creusé à grand-peine dans un des flancs de la vallée. Le travail fut rude. Pic, pioche et dynamite durent être mis en jeu pour attaquer le grès et aménager un réservoir suffisant pour actionner une turbine. Ce premier travail fait, M. Etienne construisit alors à 17 mètres en contrebas et avec les matériaux tirés de la montagne une petite construction au sol bétonné pour l’installation des machines. Soixante-quinze mètres de tuyaux enterrés amènent l’eau du réservoir à l’usine. Celle-ci abrite une turbine et une dynamo et fourni trois chevaux de force. Des machines, deux cent cinquante mètres de fils double conduisent l’énergie à la ferme. Un tableau de distribution entièrement construit par M. Etienne permet d’allumer quinze lampes de vingt-cinq bougies réparties dans toute la maison, ainsi que dans la petite fromagerie contiguë et peut actionner un moteur de deux chevaux et demi, et utilisé à divers usages et notamment au fonctionnement de la machine à battre.

   Par un câble s’enroulant sur un treuil, l’électricien commande une vanne et peut ainsi arrêter ou mettre en route les machines.

   Le frère de M. Etienne, que nous avons pu voir en redescendant de la ferme a bien voulu compléter nos observations et c’est de lui que nous avons appris que ce travail d’électrification avait été entièrement accompli par M. Pierre Etienne en quatre mois et que le coût n’avait pas excédé la somme de dix mille francs. Depuis sa mise en service, l’installation n’a jamais cessé de fonctionner.

   Ainsi, en pleine montagne, grâce à la ténacité intelligente d’un jeune homme, une ferme isolée bénéficie des avantages de la force et de la lumière électriques.  En soulignant cette belle initiative d’un cultivateur Vosgien, nous voulons non seulement rendre hommage à son auteur, mais encore et surtout montrer l’erreur de la stupide légende qui veut dépeindre le paysan de chez nous sous les traits d’un homme dont la vie rude a rendu l’esprit obstinément et volontairement fermé à toute idée de progrès. F.B.


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1 commentaire:

Villemin Gérard a dit…

Bonjour Celmar,
C'est une pépite que tu as retrouvé là.
Je connaissais l'histoire, mais n'avais pas conscience que ce fut un aussi grand exploit.
Habitués que nous étions, même dans les années 50 ou 60, à la technologie.
j'avais été très marqué aussi par le fait que notre grand-père était un pionnier en matière de radio. C'est moi qui ai récupéré diverses pièces (condensateur, solénoïde, etc.) sans me souvenir de comment s'est effectuée la transmission. Tu en sais peut-être davantage sur cet épisode radio.
En tout cas, merci d'avoir mis au jour ces informations. J'adore!
Bien affectueusement et que ta jambe se porte mieux ...