DSM en question
Depuis un certain nombre d'années, des psychiatres s'inquiètent de l'évolution de leur discipline, qui perd de plus en plus un de ses aspects importants: la relation suivie et en profondeur à la personne concrète.
La psychiatrie n'est pas une spécialité médicale comme une autre. Si les connaissances d'ordre neuronal et biochimique ont une place qu'elles n'avaient pas il y a encore cinquante ans, elle ne peut se réduire à cela, en oubliant que les données psychologiques et sociologiques ne peuvent être escamotées, celles-ci prenant souvent une place majeure dans l'interprétation de la genèse et le développement des maladies dites mentales.
C'est cet aspect clinique, ne nécessitant pas que des moyens matériels et des thérapeutiques biochimiques, qui continue à s'imposer dans l'institution, qui n'arrête pas d'être en crise.
Un certain nombre de spécialistes, surtout français, ne pouvant se résoudre à réduire leur fonction à la distribution de molécules chimiques et au suivi purement technique, s'opposent à des réformes qui, depuis un certain nombre d'années, visent surtout le sécuritaire.
Même quelques rapports officiels font état de la grande misère dans laquelle la psychiatrie se trouve aujourd'hui.
Ils insistent sur le fait que la discipline et sa pratique demandent à être repensées.
Les dérives du nouveau DSM, la bible venue d'Outre-Atlantique sont patentes. Elles débouchent sur des classifications et donc des diagnostics parfois aberrants et sur des surprescriptions parfois dangereuses (comme ici en médecine classique), pour le plus grand bonheur des firmes pharmaceutiques. [ le DSM-IV, recense 297 pathologies, classées par grandes catégories.
C'est cette classification qui fait référence pour les recherches sur
les pathologies mentales, qu'il s'agisse d'études épidémiologiques ou de
celles menées par les laboratoires pour évaluer leurs molécules (antidépresseurs, anxiolytiques ou autres neuroleptiques. ]
La surmédicalisation et la marchandisation de la maladie en général deviennent des problèmes qui n'affectent pas seulement les pratiques psychiatriques.
_______________Le psychiatre américain Allen Frances, qui participe ce week-end à un colloque parisien sur les dérives du DSM (*) souligne lui-même les dérapages passés et en cours. Il dénonce une ambition excessive de la part des auteurs qui " voulaient créer un changement
de paradigme. Ils sont fascinés par les apports possibles de la
biologie, alors que la psychiatrie, contrairement aux autres branches de
la médecine, ne dispose pas de tests biologiques. Ils sont fascinés par
la médecine préventive, au moment même où celle-ci fait marche arrière
dans certains domaines, en raison des coûts et des risques associés aux
systèmes de détection précoce (du cancer du sein, par exemple).
Ensuite, chaque psychiatre a tendance à pousser sa spécialité ou son
sujet de prédilection et à vouloir élargir le filet des patients
potentiellement concernés. Enfin, ils ne réfléchissent pas du tout aux
conséquences d’une inflation des diagnostics pour la société et les
patients eux-mêmes..."
Il dénonce le business qu'a constitué la vente spectaculaire du manuel et signale qu'"il faut faire très attention quand on pose un diagnostic, surtout sur
un sujet jeune. Parce que, même s’il est faux ou abusif, ce jugement
risque de rester attaché à la personne toute sa vie. Le diagnostic va
changer à la fois la manière dont l’individu se voit et la manière dont
les autres le voient. Or, même si les experts du «DSM-5» peuvent
avoir parfois raison dans leur façon de modifier telle ou telle
catégorie diagnostique, et si chacun d’eux peut avoir la compétence
nécessaire pour l’appliquer de manière pertinente à ses patients, il
n’en va pas de même des médecins généralistes qui, aux États-Unis comme
en France, prescrivent 80% des psychotropes.
Ils ne sont pas formés à la psychiatrie et sont particulièrement
sensibles au marketing des laboratoires. Et pour ces derniers, comme je
l’ai dit, toute modification de diagnostic est une aubaine, parce
qu’elle permet de proposer de nouveaux médicaments ou de nouveaux usages
pour des médicaments anciens. Ce qui accroît le coût pour la
collectivité et les risques d’effets secondaires. [ Lire «À qui profitent les psychotropes?»]...
... Les données épidémiologiques sont structurellement gonflées. Sur le
terrain, les enquêteurs ne sont pas en mesure d’évaluer si un symptôme
est complètement présent ou non. Si bien que les chiffres intègrent
beaucoup de cas non significatifs. Par ailleurs, c’est l’intérêt des
grandes institutions publiques de recherche, comme les NIH (National Institutes of Health)
aux États-Unis, de se référer à des données surévaluées. Cela leur
permet de décrocher davantage de crédits. Les compagnies
pharmaceutiques, elles, tirent argument des taux élevés pour dire que
beaucoup de malades ne sont pas identifiés et qu’il faut élargir le
marché.
Le «DSM» a moins d’impact en France qu’aux
États-Unis, puisque chez nous le remboursement des frais médicaux n’est
pas directement lié au diagnostic. Quel est le meilleur système?
Le système américain est très contraignant, car le psychiatre ou le généraliste est obligé, si le patient veut faire jouer l'asurance, de poser un diagnostic dès la première visite. Une visite qui, chez le
généraliste, est de sept minutes en moyenne ! C’est une source
d’erreurs, et d'inflation des diagnostics et des dépenses de santé. En France, il n’y a pas d'obligation
de faire un diagnostic mais, du coup, de nombreux traitements sont
engagés sans examen sérieux, et cela n’empêche pas l’explosion des
dépenses de santé..."
________
(*) DSM-5, le manuel qui rend fou_
- De stop DSM a post DSM
- Sommes-nous tous des malades mentaux?
- Comment la psychiatrie et l'industrie pharmaceutique ont médicalisé nos émotions
- "On assiste à une médicalisation de l'existence"
- Petit tour du monde du normal et du pathologique
- Relativité du normal et du pathologique
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- -Relayé par Agoravox_________________
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