Ce que parler veut dire en politique [ -Notes sur la crise du langage politique aujourd'hui-]
Le discours des hommes politiques n'échappe pas aux limites, aux dérapages et aux perversions éventuelles du discours commun. Seulement il a une autre portée.
Parler vrai, quand on a le pouvoir, n'est jamais sans conséquences sur la vie des hommes.
France culture a diffusé hier matin un intéressant débat sur certains aspects de la crise du discours politique actuel. Sur les dégradations qui affectent aujourd'hui de plus en plus la communication publique: le culte de la « petite phrase » n'est pas neuf, certaines d'entre elles ont fait les beaux jours ou les sombres heures de personnalités politiques... l'ère contemporaine a ceci de particulier qu'il ne semble plus y avoir aucune limite, aucune censure, aucune barrière dans l'invective. Tout peut être dit, de la pire des comparaisons au raccourci des plus grossiers, pour exister sur la scène médiatique, suivant ainsi l'adage « peu importe que l'on parle de moi en mal ou en bien, tant que l'on parle de moi ».__L'horizon du débat public est-il à ce point gangrené par la culture de l'instant qu'il ne peut plus dépasser le stade de l'invective ? Ou cette tentation de l'invective permanente est-elle la survivance d'une séquence passée ? En attesterait la montée dans l'opinion publique de la côte de popularité de personnalités, de droite comme de gauche, qui tentent de soustraire à la perpétuelle surenchère des dérapages verbaux..
Triste constat, quoique évidemment réducteur et incomplet. Mais il s'agit bien de tendances. Un langage qui ne prend plus guère de recul, rivé à l'instant, aux intérêts immédiats, aux effets de manche, au déficit d'analyse au profit de la valorisation de la personne, non pas de l'intérêt général. Les institutions sont parfois autant en cause que les personnes?
Une communication politique en crise, déjà évoquée par les Anciens, théorisée par Machiavel, au service du seul pouvoir et de sa reproduction,
Mais la particularité aujourd'hui est que les mots sont souvent démonétisés, les situations d'urgence, les périodes de crise favorisant les promesses inconsidérées, les incantations.
A l'époque où la confiance est ébranlée, tout pouvoir est contesté, l'autorité ne va plus de soi, on assiste à une crise de la représentativité, une chance par certains côtés, mais aussi parfois un péril pour les démocraties.
Le pouvoir est contaminé par l'épuisement du discours , du sens. Tant que de nouveaux projets politiques forts ne se substituent pas à la marchandisation généralisée et au relativisme libéral, escamotant les questions d'intérêt général et de vision à long terme.
La perte de pouvoir réel, l'impuissance (relative) des décideurs, en période de mondialisation accélérée, de suprématie de la finance ne contribuent pas peu à cet affaissement, cette décrédibilisation.
Dire la vérité au peuple, devient sans doute une exception, sur les grands problèmes. C'était pourtant le programme que s'était donné explicitement Pierre Mendès-France:
Il affirmait : « L'intégrité dans la vie publique est au moins aussi nécessaire que dans la vie privée. » Persuadé, après Gambetta (discours au Théâtre du Château d'Eau le 20 octobre 1878), que « la République, c'est la forme qui emporte le fond », Pierre Mendès France causait parce qu'il avait quelque chose à dire. Trente ans plus tard, Laurent Fabius, premier ministre, convoquera le journaliste Jean Lanzi pour de petits speeches télévisuels, « Parlons France », qui ne seront que du sous-Mendès sur-déclamé : il n'aura rien à déclarer, ne se souciera que d'une forme sans fond, ce sera tragiquement nul. Mendès, dans son dernier ouvrage au titre si peu anodin, La vérité guidait leur pas (1976), avait vu juste : « L'usage de la télévision a entraîné une dégradation civique supplémentaire. Elle devait populariser, démocratiser la politique ; elle a, au contraire, reproduit sur une échelle plus vaste encore les défauts de l'ancien système. Le théâtre politique est plus ouvert mais plus faussé, plus falsifié, plus censuré que jamais. Il est plus que jamais un théâtre de vedettes. »
C'est bien à une sorte de théâtralisation du discours politique à laquelle nous assistons trop souvent.
Les techniques du marketing contaminent le discours public. Claude Salmon est allé jusqu'à dire que l'homme d'Etat se présente comme un objet de consommation, vantant des idées et ses projets comme un commercial qui fait l'impasse sur le fond, la qualité.
Le rapport entre les techniques politiques et celles du spectacle a souvent été noté et déploré.
Priorité au paraître, imitation de certaines techniques la télé, complaisamment convoquée, techniques de séduction à tout prix , d'agitation de paillettes, quand ce n'est pas des procédés de bateleur, dont Berlusconi était passé maître.
Le show politique se double d'un storytelling:d'une captation de l'attention à tous prix, inspirée des maîtres de la com, ou des spindoctors, à l'usage du citoyen voyeur passif, plus consommateur que citoyen.
Le divertissement tend à devenir le moyen absolu, comme a su le faire Georges Bush. Di-vertissement: une technique de détournement de l'attention, comme l'étymologie le suggère.
La politique spectacle devient prioritaire. Napoléon y était passé maître.
Raison et vigilance citoyennes s'en trouvent affaiblies sinon annihilées.
Depuis Platon, critiquant dans son Gorgias l'instrumentalisation cynique du discours, rien n'a changé dans le fond, mais les méthodes sont tout autres.
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1 commentaire:
Le discours politique est devenu trop souvent un pugilat, dans le cadre d'une constitution à revoir, qui tend à détourner de plus en plus de gens de l'essentiel,de tout projet politique digne de ce nom.
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