Une presse (aussi) menacée.
Julien Assange n'est pas un journaliste, mais ses recherches ont souvent été très proches du journalisme d'investigation et il a souvent collaboré en complémentarité avec certains organes de presse. Leurs chemins se sont souvent croisés.
Il fait plutôt partie de la cohorte des lanceurs d'alertes de toutes sortes.
Malgré toutes les réserves qu'on peut émettre à son égard et les critiques qui ont pu être apportées (à tort ou à raison, de bonne ou mauvaise foi -on a fait beaucoup pour le discréditer dans certains milieux-), on peut considérer que son courage et son obstination ne peuvent être minimisés. Sa mise à jour des exactions de troupes américaines en Irak, pas exemple, reste dans les mémoires....
Le voilà maintenant en danger, sans doute extradé sous la pression politique des services de Trump, qui s'était juré d'avoir sa peau.
Les conséquences, pas seulement pour lui, peuvent être lourdes.
Après l'annonce de ces nouvelles " les associations de défense des libertés ont immédiatement tiré la sonnette d’alarme. « Pour la première fois dans l’histoire de notre pays, le gouvernement entame une procédure criminelle contre un éditeur pour la publication d’informations véridiques. C’est une attaque directe contre le premier amendement et une escalade inouïe des attaques de l’administration Trump contre le journalisme », s’est inquiétée l’Union américaine pour les libertés civiles (en anglais American Civil Liberties Union, ACLU), une puissante association de défense des droits des citoyens.
__ "Depuis son arrestation dans l’enceinte de l’ambassade d’Equateur à Londres, le 11 avril dernier, Julian Assange attendait de savoir à quelle sauce il allait être cuisiné, en attendant une extradition inéluctable vers les Etats-Unis, ou la Suède, qui veut l’entendre dans une affaire de viol. Après l’avoir inculpé pour un délit mineur de conspiration informatique, les autorités américaines ont déployé la grosse artillerie hier soir : le fondateur de WikiLeaks a été inculpé de dix-sept (!) chefs d’accusation au titre de l’Espionage Act.(*) Il risque cent soixante-quinze ans de prison. Quoi qu’on pense de l’urticant Australien, cette stratégie de l’administration Trump envoie un signal très inquiétant pour la liberté de la presse. C’est la première fois que ce texte centenaire est utilisé non pas contre la source directe d’une fuite, mais contre un tiers ayant publié des informations classifiées (l’acte d’accusation vise l’année 2010, celle des maxi-publications de WikiLeaks, en collaboration avec de grands médias internationaux). « Le département de la Justice vient de déclarer la guerre au journalisme », a immédiatement réagi le lanceur d’alerte Edward Snowden sur Twitter. Difficile de lui donner tort...."
(*) En mai 2019, le comité de rédaction de Pittsburgh Post-Gazette a publié un article d’opinion plaidant en faveur d’un amendement permettant une défense d’intérêt public, car "la loi est devenue depuis un outil de répression, utilisée pour punir les dénonciateurs actes répréhensibles et criminalité commis par le gouvernement ".
Les réactions sont parfois vives aux USA. (Notamment) " de la part de la Freedom of the Press Foundation, ONG de défense de la liberté de la presse, qui évoque « un développement réellement choquant », qui dépasse le simple cadre de WikiLeaks. « Peu importe votre avis personnel sur Assange, ces nouvelles inculpations contre lui sont sans précédent, effrayantes, et un coup porté au cœur du droit fondamental à la liberté de la presse ». Son directeur exécutif, Trevor Timm, évoque même « la menace la plus significative et la plus terrifiante contre le premier amendement au XXIe siècle »....
[WikiLeaks a mis en ligne 391 832 documents secrets sur la guerre en Irak, portant sur une période du 1erjanvier 2004 au 31 décembre 2009, et révélant, notamment, que la guerre avait fait environ 110 000 morts pour cette période, dont 66 000 civils, et indiquant que les troupes américaines auraient livré plusieurs milliers d'Irakiens à des centres de détention pratiquant la torture]
Comment va réagir l'indomptable australien, dans les accusations qui lui sont portées?
Le Daily Beast, un site d’information, a tout résumé en une phrase : « Pour la première fois dans l’histoire moderne des États-Unis, le gouvernement a inculpé un éditeur pour avoir révélé des informations classifiées. »
Jamais, depuis 1917, la loi sur l’espionnage (« Espionage Act »), promulguée aux États-Unis pendant la Première Guerre mondiale pour traquer les communistes, les socialistes et les pacifistes américains, alors considérés comme des traîtres à la nation, n’avait été utilisée pour criminaliser la révélation publique d’informations gouvernementales.
Leurs sources, des lanceurs d’alerte courageux, en avaient souvent fait les frais, de façon d’ailleurs exponentielle sous les administrations Obama et Trump. Mais si les sources avaient été inquiétées, jamais la publication de ces informations n’avait été comparée à un acte d’espionnage.
L’« Espionage Act » a toujours été considéré par les défenseurs de la liberté de la presse américains comme une épée de Damoclès pouvant être un jour dirigée contre les médias. Mais jusqu’ici, aucune administration ne s’était aventurée à l’activer pour punir la révélation d’informations, afin d’éviter toute atteinte au sacro-saint premier amendement de la Constitution américaine, qui garantit la liberté de la presse et la liberté d’expression.
Le sort désormais réservé à Julian Assange, le fondateur contesté de WikiLeaks, installe un précédent historique. S’il y avait un doute, cette fois c’est très clair : l’administration Trump lui a déclaré la guerre. Et à travers lui, c’est bien toute la presse, américaine mais pas seulement – rappelons qu’Assange n’est pas américain, mais australien –, qui est potentiellement menacée de poursuites, si elle s’enhardit à publier des informations sensibles et secrètes touchant à la sécurité nationale.Jeudi 23 mai, le département de la justice américain a révélé que 17 nouvelles charges judiciaires pèsent sur le fondateur de WikiLeaks, arrêté le mois dernier à Londres après six ans de confinement dans l’ambassade de l’Équateur.
Aux termes de son acte d’inculpation révélé dans la foulée de son arrestation après plus d’un an d’instruction secrète, Assange était jusqu’ici visé par un seul chef d’inculpation, passible de cinq ans de prison, pour avoir encouragé l’ancienne militaire américaine Chelsea Manning, alors en poste en Irak, à « craquer le mot de passe d’un ordinateur du gouvernement américain classé secret défense ». L’opération avait donné lieu à une révélation massive sur la plateforme WikiLeaks, en 2010, de câbles diplomatiques et de documents dévastateurs prouvant les exactions de l’armée américaine en Irak en en Afghanistan.
Les charges rendues publiques par le département de la justice américaine ce jeudi sont très lourdes (lire ici l’acte d’inculpation). Au titre de la loi sur l’espionnage, Assange, que le Département de la justice refuse de considérer comme un journaliste, est accusé d’avoir sollicité, reçu, obtenu et publié des éléments relevant de la « défense nationale ». Il lui est reproché :d’avoir « encouragé de façon répétée des sources ayant accès à des informations classifiées à les voler et à les fournir à Wikileaks dans un but de révélation » ; d’avoir « encouragé Chelsea Manning à poursuivre son opération de vol de documents classifiés » ;d’avoir « eu pour objectif de subvertir les restrictions légales concernant les informations classifiées, et de les disséminer publiquement » ; d’avoir « révélé les noms de sources humaines » [du renseignement américain] ;d’avoir « créé un risque grave et imminent pour leur vie », en sachant que « la dissémination de [leurs] noms mettait ces individus en danger ».Julian Assange risque dix ans de prison pour chacune de ces charges : au total, 170 ans de détention…
« C'est de la folie, a commenté WikiLeaks, la plateforme d’Assange. C’est la fin du journalisme touchant à la sécurité nationale, et la fin du premier amendement. » « Pour la première fois dans l’histoire de notre pays, le gouvernement a activé des charges criminelles au nom de l’“Espionage Act” contre un éditeur, à cause de la publication d’une information véridique », estime l’ACLU, la plus grande association américaine de défense des droits de l’homme .« C’est une agression directe contre le premier amendement. Ces inculpations sont une escalade extraordinaire dans les attaques de l’administration Trump contre le journalisme », poursuit l’association, en écho aux attaques quotidiennes du président américain contre les médias, qu’il qualifie d’« ennemis du peuple ».
« Elles établissent un précédent dangereux qui peut être utilisé pour cibler tous les médias qui demandent des comptes aux gouvernements et publient leurs secrets. Les charges portées contre Assange sont également dangereuses pour les journalistes qui révèlent les secrets d’autres nations. Si les États-Unis peuvent poursuivre un éditeur étranger pour violation de nos lois sur le secret, rien n’empêche la Chine ou la Russie de faire la même chose. » « Ces charges sans précédent contre Julian Assange et Wikileaks sont la menace la plus significative, et la plus terrifiante, contre le premier amendement depuis le début du XXIe siècle », s’alarme la Freedom of Press Foundation....
« Cette administration décrit la presse comme le parti d’opposition, un ennemi du peuple. Aujourd’hui, ils utilisent la loi comme un sabre et entendent lâcher tout le pouvoir de l’État contre l’institution précisément destinée à nous protéger de tels excès », a réagi dans un communiqué Chelsea Manning, jugée et condamnée par un tribunal militaire, graciée et libérée par Obama, désormais emprisonnée car elle refuse de témoigner à nouveau devant un grand jury.
Présentateur star de la chaîne libérale MSNBC, Chris Hayes s’inquiète, lui, d’une « attaque frontale et extrêmement dangereuse contre la presse libre ».
Il y a un mois, lorsqu’un seul chef d’inculpation, mineur au regard des charges d’espionnage, pesait sur Assange, des défenseurs américains de la liberté d’informer s’étaient déjà inquiétés. « Quoi que l’on pense d’Assange, que l’on veuille l’appeler journaliste ou pas, l’acte d’inculpation soulève des inquiétudes plus larges pour la presse en général, car la rédaction est très générale et inclut des pratiques journalistiques quotidiennes », nous disait Caroline DeCell, juriste au Knight First Amendment Center de l’université new-yorkaise Columbia.
Source du New York Times et du Washington Post dans l’affaire emblématique des Pentagon Papers sous l’administration Nixon, Daniel Ellsberg prévoyait comme un fait certain, « une longue série » de charges. « C’est la liberté de la presse qui est en jeu, disait-il. Je pense que tout le monde devrait se rallier autour de son cas. Quoi qu’on pense de sa personne. »
Ellsberg sait de quoi il parle. En 1973, le lanceur d’alerte, un ancien employé du think tank Rand Corporation, fut poursuivi par l’administration Nixon au nom de l’« Espionage Act », pour avoir révélé à la presse américaine les fameux Pentagon Papers, des documents confidentiels révélant le fiasco de l’intervention militaire américaine au Vietnam. Il risquait alors 115 ans de prison. Les charges à son encontre furent par la suite levées, notamment parce que l’administration Nixon avait jugé pertinent d’ordonner le cambriolage du cabinet de son psychiatre…Depuis un siècle, rappelle le journaliste Jeremy Scahill, cofondateur du site d’investigation The Intercept, l’« Espionage Act » a été utilisé comme une « arme pour attaquer la liberté d’expression et les dissidents » : contre l’anarchiste Emma Goldman et le leader socialiste pacifiste Eugene Debs pendant la Première Guerre mondiale, ou encore pour punir les époux Rosenberg, condamnés (et exécutés en 1963) pour espionnage au profit de l’URSS. Plus récemment, il a été utilisé pour traquer les lanceurs d’alerte et les sources des journalistes, rappelle Scahill.
« Le département de la justice sous Obama a inculpé huit sources au nom de l’“Espionage Act”, explique Scahill dans la dernière livraison de son podcast, “Intercepted”. Plus que tous les présidents avant lui. Parmi ces cas, Chelsea Manning, l’ancien officier de la CIA Jeffrey Sterling [accusé d’avoir divulgué au journaliste James Risen, alors au New York Times, des opérations secrètes contre le programme nucléaire iranien – ndlr], les lanceurs d’alerte de la NSA Thomas Drake et Edward Snowden. Dans certains de ces cas, ces personnes ont été condamnées à de longues peines de prisons. Dans d’autres, le gouvernement a ruiné leur vie. »
« Trump a pris le pouvoir et a commencé à utiliser les méthodes de son prédécesseur. Il l’a surpassé en seulement deux ans. » La première cible de l’administration fut Reality Winner, une linguiste militaire travaillant pour la NSA, accusée d’avoir transmis à The Intercept des informations sur l’ingérence russe pendant la présidentielle de 2016.
Il y eut aussi Terry Allbury, un salarié du FBI, à l’origine de révélations sur l’étendue des méthodes de surveillance du FBI.
Et encore, au début de ce mois, l’arrestation du lanceur d’alerte Daniel Everett Hale, un salarié du département de la justice ayant transmis des documents sur les campagnes d’assassinats ciblés par drones sous la présidence Obama. En ciblant un responsable de publication, selon des termes qui pourraient très bien, en tout cas en partie, s’appliquer à d’autres journalistes, l’inculpation d’Assange pour espionnage marque une gradation supplémentaire.
Le New York Times s’inquiète déjà d’une « escalade dramatique de cette administration pour punir les fuites d’informations classifiées », escalade qui constitue une « attaque directe contre les protections du premier amendement pour les journalistes ».
Il y a un mois, dans un éditorial rugueux, le Washington Post, qui a comme de multiples médias utilisé les informations publiées par WikiLeaks, avait tenu à se démarquer d’Assange, accusé d’avoir « obtenu des documents de façon non éthique », « publié des informations dans le domaine public sans vérifier leur caractère factuel ou donné aux individus une occasion de commenter », et d’avoir « trempé dans un complot d’un régime autoritaire étranger visant à nuire à un candidat à la présidence américaine, au bénéfice de son concurrent », allusion à son rôle trouble dans la présidentielle de 2016.
Mais dès jeudi soir, le quotidien de la capitale américaine s’est inquiété des « conséquences potentielles » de ces nouvelles inculpations, « pas juste pour [Assange], mais aussi pour tous ceux qui publient des informations classifiées ». « Elles pourraient modifier la balance, sensible aux États-Unis, entre la liberté de la presse et les secrets du gouvernement. » Les États-Unis doivent notifier d’ici au 11 juin aux autorités britanniques leurs motifs d’extradition. Assange a été condamné à 50 semaines de prison le 1er mai pour ne pas avoir respecté les conditions de sa liberté provisoire. La Suède a par ailleurs rouvert une enquête pour viol le concernant, suspendue depuis 2017. Autant de délais qui pourraient retarder sa confrontation avec la justice américaine...."
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