Comme chaque année au même moment, elle revient, comme le muguet en Mai:
Jeanne , idéalisée, travestie, défigurée...récupérée
Depuis un époque assez récente d'ailleurs.
Elle est devenue une figure emblématique, une référence nationale en certaines périodes jugées cruciales. A la fois symbole d'identité et mythe guerrier d'une France en gestation. Paradoxale puissance féminine exaltée.
La question de la vraie Jeanne fait encore débat et ne sera peut-être jamais résolue.
Mais la Jeannette, même enrobée de légende survivra.
Depuis des années, tout le monde se l'arrache, revendiquant son patronage
C'est le propre de toutes les figures nationales que l'imagination populaire ou construite a élaboré, pour les besoins de la cause (*)
Il faut bien se rallier à quelque chose ou à quelqu'un, à qui on fait dire ce que l'on veut.
Certains de nos mythes historiques ont les reins solides.
_________(*) Derrière le mythe héroïque, qui se cache? que reste-t-il de sa dépouille historique?
A son époque déjà, elle baigne dans une légende toute nationale et religieuse.
Après une longue éclipse, elle connaît une deuxième naissance sous la plume de Michelet, dans le contexte d'une république qui se cherche des symboles, surtout après la défaite de 70, d'une Eglise affaiblie, éprise de restauration, qui finit par la canoniser.
Lavisse la popularisa dans les écoles, sous la houlette de J.Ferry voulant restaurer les grandes figures historiques, "même enveloppées de légende", pour former le citoyen et le futur soldat.
Dans sa personne héroïsée se polarise une lutte entre l'Eglise et l'Etat laïc. (*)
Derrière les vernis successifs, les enjolivements, les relectures anachroniques, qui se cache derrière l'icône, devenue le symbole d'une France résistante, pour les patriotes, les nationalistes et ce qui reste de royalistes?
La guerre des interprétations est toujours en cours...
Les incohérences et les silences des sources permettent les interprétations le plus diverses
Les enjeux politico-religieux semblent aujourd'hui s'affaiblir, du fait des effets de la mondialisation.
Mais il arrive encore que des politiques se la disputent .
Naguère, après Clovis, N. Sarkozy, le chanoine du Latran, revendiquait l'héritage de Jeanne, pour faire surtout diversion.
Jeanne , , instrumentalisée,.héritage du XIX° Siècle, dans les conflits entre églises et République est toujours bonne pour la propagande:
_Maurice Barrès, au moment de l'Union sacrée en 1914, déclarait:
«Chacun de nous peut personnifier en elle son idéal. Êtes-vous catholique? C'est une martyre et une sainte que l'Église vient de mettre sur les autels. Êtes-vous royaliste? C'est l'héroïne qui a fait consacrer le fils de saint Louis par le sacrement gallican de Reims... Pour les républicains c'est l'enfant du peuple qui dépasse en magnanimité toutes les grandeurs établies... Enfin les socialistes ne peuvent oublier qu'elle disait: "J'ai été envoyée pour la consolation des pauvres et des malheureux."»
L' histoire revisitée est toujours intéressante, au sens où elle nous en dit plus sur l'époque qui parle du passé que sur le passé lui-même, transposé en fonction des intérêts et des passions du moment.
Nos mythes historiques, s'ils fonctionnent moins bien aujourd'hui, restent encore bien présents dans les références populaires, parfois pipolisées, avides d' héroïsme et de merveilleux dans un monde aujourd'hui laïcisé et sans relief.
Qui était finalement Jeanne? L'énigme persiste.
Affaire en cours...
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"Dîtes-moi, où, n'en quel pays, Est Flora la belle Romaine, La reine Blanche comme un lis Qui chantait à voix de sirène, Et Jeanne, la bonne Lorraine Qu'Anglais brûlèrent à Rouen; Où sont-ils, où, Vierge souveraine? Mais où sont les neiges d'antan?» (François Villon)
Où sont les mythes d'antan?...
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(*) "...Mgr Dupanloup, sénéteur réfutant le République et la modernité, qui allait en 1878, contre les célébrations du centenaire de la mort de...Voltaire. Ce prélat distingué, en 1855, se lance dans un panégyrique magnifiant le destin providentiel de Jeanne, qui reçut de Dieu la mission de sauver la nation préférée du Créateur: la France.
En 1869, le même Dupanloup écrira au pape pour souligner l'intérêt d'une canonisation, au nom d'une récupération déjà bien comprise: «Il y aurait là une proclamation éclatante de cette vérité, aujourd'hui si méconnue et si nécessaire à rapporter, que les vertus chrétiennes peuvent s'allier admirablement avec les vertus civiques et patriotiques: ce serait une réponse indirecte, mais puissante, aux accusations que les ennemis de l'Église prétendent tirer des justes condamnations portées par le Saint-Siège contre les erreurs contemporaines. Bien des gens que le malheur des temps a éloignés de l'Église seraient forcés de reconnaître la sainteté chrétienne dans les vertus qu'ils admirent; et enfin, très Saint-Père, la popularité du Saint-Siège en France, et dans le monde, en grandirait certainement.»
Jeanne est tirée à hue et à dia. Les socialistes et les dreyfusards la revendiquent (Lucien Herr et Jaurès en pincent visiblement pour ce symbole émancipateur). Charles Maurras élucubre à rebours: «Son amour de la paix et son horreur du sang ne la dressaient donc point contre les puissances du monde. La bataille devant être, il fallait que la bataille fût, non pour établir une pandémocratie dans la République chrétienne, mais pour que, sous le Roi du ciel, régnât très régulièrement un Roi de la terre, dans un royaume organisé en vue du minimum de faiblesse humaine et du maximum d'ordre naturel.»
L'Histoire coupe la poire en deux (ou en trois voire en quatre), à l'image de cette proclamation de Maurice Barrès, au moment de l'Union sacrée en 1914 (qu'a tenté de singer Nicolas Sarkozy le 6 janvier 2012): «Chacun de nous peut personnifier en elle son idéal. Êtes-vous catholique? C'est une martyre et une sainte que l'Église vient de mettre sur les autels. Êtes-vous royaliste? C'est l'héroïne qui a fait consacrer le fils de saint Louis par le sacrement gallican de Reims... Pour les républicains c'est l'enfant du peuple qui dépasse en magnanimité toutes les grandeurs établies... Enfin les socialistes ne peuvent oublier qu'elle disait: "J'ai été envoyée pour la consolation des pauvres et des malheureux."»
Jeanne d'Arc, ou l'éternel marchandage et les tractations inachevées... La canonisation de 1920, par Benoît XV, n'échappe pas à la règle. Mgr Galli semble chanter à Rome, ce jour-là, une évidence de fer: «Voici donc venir l'heure que les bons attendent depuis si longtemps. L'autorité de Pierre va sanctionner la vertu universellement suréminente de Jeanne d'Arc. Que l'univers catholique dresse l'oreille et qu'il vénère dans l'héroïne, libératrice admirable de sa Patrie, une splendide lumière de l'Eglise triomphante!»
Toutefois, le maquignonnage est patent autour de la pucelle. En mai 1920, donc, la canonisation offre à la France une sainte patronne. En compensation, dès juillet 1920, la République, bonne fille réac, vote l'interdiction de l'avortement, pénalise la contraception ainsi que toute information diffusée sur le sujet. Jeanne semble définitivement annexée par la droite.
Il faudra le désastre de 1940 pour renverser le cours des choses. La femme du refus de la défaite est dégagée de sa gangue de bondieuserie. Les patriotes retrouvent le sens de cet euphémisme placé dans la bouche de la jeune héroïne par Charles Péguy, dans sa pièce prodigieusement grandiloquente, Le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc (1910): «Je crois bien qu'au fond je ne suis tout de même pas lâche.» (A. Perraud_ Mediapart)
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