dans le domaine des connaissances sur l'évolution..
Tout se complique même en paléontologie.
Les chercheurs ont la particularité de remettre en question certaines données déjà établies, de bousculer des connaissances que l'on croyait solides, de créer des révolutions dans les certitudes acquises. Il en est ainsi dans toutes les domaines des sciences.
Ils n'en finissent pas d'éliminer les obstacles épistémologiques, pour être conformes aux faits nouveaux rencontrés, aux interrogations inédites qu'ils posent.
Le plus souvent, c'est à l'occasion de fouilles programmées ou fortuites que de nouveaux faits interrogent l'esprit du paléontologue, comme lors de la découverte de Lucy.
Au début... |
C'est ainsi que Jean-Sébastien Steyer contribue à fournir une nouvelle grille de lecture, contrintuitive, allant à rebours de nos modes de pensée en la matière.
Il souligne, plus que d'autres avant lui, le rôle fondamental que tient le hasard dans l'aventure des espèces dans le temps long. Il n'est pas le premier à le faire. Un hasard qui ne signifie pas une absence de causes, mais qui qualifie une absence de plan préétabli, d'orientation privilégiée, de trajectoire finalisée.
Dans l'esprit de Lucrèce, Spinoza, Diderot, après S Jay Gould notamment, il approfondit cette notion de hasard, quitte à bousculer nos habitudes mentales, souvent anthropomorphiques.
"Nous sommes les glorieux accidents d'un processus imprédictible ne témoignant d'aucune tendance à une plus grande complexité, et non le résultat prévisible de principes évolutifs destinés à produire une créature capable de comprendre les mécanismes de sa propre création." (SJ Gould)
Rude choc narcissique!
Les fondamentaux darwiniens demeurent, mais ils s'affinent.
Contre tout finalisme, surtout de nature religieuse, il conteste la notion familière d'adaptation, souvent évoquée dans l'observation de changements profonds dans le temps et de la fascinante biodiversité. Ce qui permet de mieux intégrer des phénomènes semblant sortir des cadres ordinaires, jugés parfois déroutants.
"...Concevoir l’évolution comme une augmentation de la complexité, c’est encore une fois lui donner un sens… Or l’évolution est un phénomène stochastique et foisonnant qui part dans toutes les directions. L’argument souvent avancé est alors « Oui mais regardez le cerveau humain et l’évolution de l’homme ; ne sommes-nous pas plus complexes que les autres espèces ? » En bons primates égocentriques, nous percevons l’évolution comme une augmentation de la complexité car nous trônons sur notre branche. Or dans l’arbre de la vie, aucune espèce n’est plus complexe ni plus évoluée qu’une autre, mais toutes sont différentes.
Cette idée de complexité hiérarchise non plus les espèces elles-mêmes, mais les caractères les définissant : ainsi le fait de posséder un cerveau devient plus important que celui de posséder un œil ou un rein… Vu sous cet angle, il est alors facile de démonter l’argument en orientant le projecteur sur d’autres caractères : le crâne des hominidés est par exemple beaucoup plus simple que celui d’un vulgaire poisson car il contient beaucoup moins d’os !
Il faut reconsidérer l’importance du hasard dans l’évolution et se détacher du contexte finaliste et adaptationniste. Je m’explique : l’évolution consiste en l’apparition de nouvelles formes éventuellement retenues par la sélection naturelle si elles remplissent des fonctions avantageuses permettant la survie et/ou la propagation de l’espèce. Comme les mutations produisent une infinité de formes, l’évolution est donc un joyeux bricolage ! Hélas l’œil humain agit encore une fois comme un prisme : l’organe une fois identifié, il est tentant en effet de le considérer comme un produit fini ayant été sélectionné pour quelque chose. C’est le problème de l’adaptationnisme qui, comme son nom l’indique, ne conçoit souvent que l’adaptation comme unique moteur de l’évolution…
Or en paléontologie, nous identifions de plus en plus d’exaptations, c’est-à-dire des fonctions non-implicites pourtant retenues par la sélection naturelle : ainsi les plumes ne sont pas apparues pour le vol mais elles permettaient aux dinosaures de maintenir leur chaleur corporelle...
L’esprit humain, féru de causalité, a trop tendance à associer des phénomènes pourtant sans lien direct entre eux. Ainsi nous pensions que l’extinction des dinosaures non aviens, à la fin du Crétacé, avait permis aux mammifères de se développer et de connaître ce que l’on appelle une « radiation évolutive ». Mais ce scénario s’avère encore une foi trop simpliste : certes, il y a 66 millions d’années, la disparition des dinosaures non aviens a laissé des niches écologiques vacantes pour les mammifères, mais ces derniers étaient déjà là ! Les fossiles en attestent : beaucoup de représentants de groupes actuels (marsupiaux mais aussi placentaires) étaient déjà présents à la fin du Crétacé. La radiation des mammifères – même si la plupart n’avaient ni la taille ni la forme de leurs cousins actuels – a donc eu lieu avant la fin tragique des dinosaures non aviens. Nous surestimions donc l’effet de la crise Crétacé-Tertiaire car nous n’avions pas assez de données.
Notre œil nouveau est aussi aiguisé par des découvertes qui bouleversent l’ordre établi, comme ce mammifère fossile de la taille d’un gros chat, découvert en Chine et présentant un petit dinosaure dans son estomac ! S’il est une science de l’évolution en pleine évolution, c’est bien la paléontologie..."
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