Funambule de la Tamise.
Après un feuilleton déjà agité, une histoire anglaise atypique, l'avenir est surtout fait d'incertitudes, d'anticipations pas toujours rassurantes, d'un côté comme de l'autre du Channel. Cameron, qui a tendu le liège, se planque.
Difficile de dire ce qui va se passer, mais on n'arrête pas sur sa lancée un camion sans frein.
Pour le meilleur et pour le pitre?
Voici un diagnostic du moment sans concession qui ne manque pas de pertinence sur plus d'un point:
" Décidément, la perfide Albion mérite amplement son qualificatif. Souvenons-nous des déclarations viriles du négociateur européen, l’idiot inutile qui n’envisageait pas un seul instant que sa géniale stratégie (est-ce le mot idoine ?) puisse être contournée comme les Allemands le firent de la ligne Maginot en 1940. Preuve en est qu’il (lui et surtout sa cohorte de conseillers) n’avait pas prévu le moindre plan B en cas de tergiversations britanniques. Manifestement, ce grand escogriffe ne comprend toujours rien à l’âme britannique (il ahane la langue de Shakespeare)1 et aux fondamentaux de la négociation (ils lui sont toujours aussi inconnues) avec un peuple aussi retors. Faute d’options alternatives, Michel Barnier se retrouve nu comme le roi. Pour l’Union européenne comme pour les Britanniques, le « Brexit » constitue un saut dans l’inconnu qui risque de traduire pendant des mois et des années par une sorte de nuits et brouillard auquel il faudra bien s’habituer et se préparer.
Au moins de juin dernier, nous nous interrogions sur le déroulement du long chemin de Damas du Premier ministre britannique, Theresa May alors que son navire se fracassait sur l’écueil qui a pour nom « Brexit ». Nous résumions son calvaire autour de quatre mots : humiliation, confusion, sidération et prévision. Pour ce qui est de la prévision, nous écrivions :
« L’avenir n’appartient à personne. Il n’y a pas de précurseurs, il n’y a que des retardataires ». (Jean Cocteau). Parmi les chefs d’État et de gouvernement des 27 pays membres de l’Union européenne, combien seront-ils à faire preuve de prescience pour tenter d’anticiper l’avenir et ne pas être prisonnier d’un présent qu’ils ne parviennent pas à maîtriser ? À quand, la réunion d’un Conseil européen (en l’absence du crétin des Alpes qui a pour nom Michel Barnier qui a amplement démontré ses limites diplomatiques) uniquement consacré à une séance de remue-méninges (« brainstroming ») à la définition d’une stratégie cohérente et pérenne pour les prochains mois en lieu et place d’une diplomatie classique à Bruxelles du chien crevé au fil de l’eau ? Faute de quoi, il y a de fortes chances que Londres mène le branle et impose ses conditions léonines à ses ex-partenaires las et désabusés. La suite au prochain numéro2.
Les semaines passées démontrent, s’il en était encore besoin, que les Européens ne pensent jamais stratégie et prévision. Ils excellent dans le court-termisme et le présentisme. Il est vrai que les dirigeants européens sont des hommes politiques et de non des hommes d’État qui parlent de procédure et non de vision. Ils improvisent au rythme médiatique, des sondages d’opinion, de leurs humeurs changeantes. La cohérence et la continuité ne font plus partie de leur langage, de leur mode de fonctionnement. Aujourd’hui, Europe et Grande-Bretagne ne forment plus qu’une communauté réduite aux inquiets3.
Un homme déterminé. Or, depuis deux mois, le moins que l’on puisse dire est que la situation est des plus confuse tant de l’autre côté du Channel avec la nomination, par le Parti conservateur, de l’ancien maire de Londres, le bouillonnant et europhobe, Boris Johnson comme successeur de Theresa May et donc comme Premier ministre qu’à Bruxelles. L’homme à la chevelure hirsute se rêve en un nouveau Winston Churchill. Nous y sommes. Boris Johnson a pris possession du 10 Downing Street et n’entend pas, semble-t-il, se laisser dicter sa conduite par les Vingt-Sept. Il prétend travailler à un « no deal » (sortie de l’Union européenne sans accord) à la date du 31 octobre 20194. Pour prouver sa détermination à aller à la rupture, il décline les invitations à se rendre à Paris et à Berlin qui lui ont été lancées par Emmanuel Macron et Angela Merkel. Il explique que l’accord négocié par son prédécesseur est inacceptable pour lui. Sans de substantifique concessions (lesquelles ?), il n’envisage pas de revenir à la table de négociation5. Il proclame qu’il n’est pas décidé à payer le premier euro des cinquante milliards que devrait lui coûter son divorce. Il veut un plan de dérégulation et de relance, autoriser les OGM et créer des ports francs6. Son regard se tourne désormais vers le grand large où son meilleur soutien n’est autre que le président de la République, Donald Trump. Les deux hommes proposent de sa rapprocher par la conclusion d’un accord de libre-échange profitable aux deux parties. Une sorte de nouvelle idylle américano-britannique qui renoue avec la tradition de l’appel du grand large.
Une meute incontrôlable. Manifestement, l’homme n’est pas facile. Il risque de donner du fil à retordre à ses Vingt-Sept homologues tant il pratique la diplomatie de l’invective, de l’humiliation, de l’imprévisibilité. En apparence, du moins, il semble savoir ce qu’il veut et surtout ce qu’il ne veut pas. En l’absence d’une stratégie commune claire (y compris sur un « no deal »7), les Européens se contentent de s’époumoner à dire qu’ils ne renégocieront pas la moindre virgule du dernier texte proposé aux Britanniques. Trop c’est trop. Mais, à lire entre les lignes, il apparaît très clairement que les Vingt-Sept sont loin d’être sur la même ligne sur la tactique à adopter dans les négociations à venir quoi que l’on nous dise8. Nous en avons eu un excellent exemple lors de la négociation de la date butoir de fin de la négociation du « Brexit ». La voie de la chancelière l’avait emporté sur celle du président français. Au-delà, nul ne sait ce qu’il adviendrait de l’unité de façade si Boris Johnson pratiquait la politique de la division pour arracher le maximum de concessions à ses homologues. Croire qu’il faille mettre en exergue les difficultés internes (Irlande, Écosse9 où la perspective du « Brexit » renforce les indépendantistes10), économie11, étroitesse de la majorité au Parlement après les dernières élections partielles12) de l’homme à la mèche blonde pour l’amener à résipiscence, c’est faire fausse route13. Croire qu’il faille mettre en exergue les inconvénients du « Brexit » pour l’économie britannique, c’est également faire fausse route parce que le peuple en a décidé ainsi14. Surtout lorsque nous apprenons que la croissance de la zone euro marque nettement le pas au deuxième trimestre de l’année 201915. L’Union européenne n’est pas à l’abri de coups de Jarnac de la perfide Albion et de sa place financière et d’éventuels ports francs susceptibles de faire une concurrence déloyale aux crédules élèves européens. Bruxelles, croyant toujours avoir affaire à des gentlemen, entend négocier, comme si de rien n’était. Le gang qui a pris le pouvoir à Londres, aussi select ou érudit soit-il (Boris Johnson et son âme damnée Jacob Rees-Mogg échangent volontiers en latin), ne va pas prendre de gants : l’Europe éparpillée par petits bouts, façon puzzle ! Angela Merkel et Emmanuel Macron se retrouvent déjà Gros-Jean comme devant, attendant Godot-Johnson qui ne viendra pas16.
« La prospective est un art difficile surtout lorsqu’elle concerne l’avenir » (Pierre Dac). Bien malin celui qui peut prédire le cours que vont prendre les choses au cours des prochains mois ? Bien malin celui qui peut prédire l’échéance de ce marathon diplomatico-politique ? Bien malin celui qui peut prédire l’épilogue de ce feuilleton à rebondissements, « deal or no deal » ? C’est que « L’avenir n’appartient à personne. Il n’y a pas de précurseurs, il n’y a que des retardataires ». (Jean Cocteau). Une seule chose est certaine, nous ne devons pas douter un seul instant de la résilience du peuple britannique (Cf. sa conduite lors de la Seconde Guerre mondiale). Moins certaine mais encore que… Boris Johnson semble reprendre à son compte le mot – venu de l’empire du Soleil-Levant – que Proust, dans La Recherche, met dans la bouche de M. de Norpois, mot que devait, de son côté, abondamment citer Clemenceau, le « Tigre », notre proto-Churchill, durant la Grande Guerre : « La victoire est à celui qui est capable de souffrir un quart d’heure de plus que son adversaire »17. Boris Johnson mène le branle face à une Union européenne qui a tout de la désunion européenne."
Les semaines passées démontrent, s’il en était encore besoin, que les Européens ne pensent jamais stratégie et prévision. Ils excellent dans le court-termisme et le présentisme. Il est vrai que les dirigeants européens sont des hommes politiques et de non des hommes d’État qui parlent de procédure et non de vision. Ils improvisent au rythme médiatique, des sondages d’opinion, de leurs humeurs changeantes. La cohérence et la continuité ne font plus partie de leur langage, de leur mode de fonctionnement. Aujourd’hui, Europe et Grande-Bretagne ne forment plus qu’une communauté réduite aux inquiets3.
Un homme déterminé. Or, depuis deux mois, le moins que l’on puisse dire est que la situation est des plus confuse tant de l’autre côté du Channel avec la nomination, par le Parti conservateur, de l’ancien maire de Londres, le bouillonnant et europhobe, Boris Johnson comme successeur de Theresa May et donc comme Premier ministre qu’à Bruxelles. L’homme à la chevelure hirsute se rêve en un nouveau Winston Churchill. Nous y sommes. Boris Johnson a pris possession du 10 Downing Street et n’entend pas, semble-t-il, se laisser dicter sa conduite par les Vingt-Sept. Il prétend travailler à un « no deal » (sortie de l’Union européenne sans accord) à la date du 31 octobre 20194. Pour prouver sa détermination à aller à la rupture, il décline les invitations à se rendre à Paris et à Berlin qui lui ont été lancées par Emmanuel Macron et Angela Merkel. Il explique que l’accord négocié par son prédécesseur est inacceptable pour lui. Sans de substantifique concessions (lesquelles ?), il n’envisage pas de revenir à la table de négociation5. Il proclame qu’il n’est pas décidé à payer le premier euro des cinquante milliards que devrait lui coûter son divorce. Il veut un plan de dérégulation et de relance, autoriser les OGM et créer des ports francs6. Son regard se tourne désormais vers le grand large où son meilleur soutien n’est autre que le président de la République, Donald Trump. Les deux hommes proposent de sa rapprocher par la conclusion d’un accord de libre-échange profitable aux deux parties. Une sorte de nouvelle idylle américano-britannique qui renoue avec la tradition de l’appel du grand large.
Une meute incontrôlable. Manifestement, l’homme n’est pas facile. Il risque de donner du fil à retordre à ses Vingt-Sept homologues tant il pratique la diplomatie de l’invective, de l’humiliation, de l’imprévisibilité. En apparence, du moins, il semble savoir ce qu’il veut et surtout ce qu’il ne veut pas. En l’absence d’une stratégie commune claire (y compris sur un « no deal »7), les Européens se contentent de s’époumoner à dire qu’ils ne renégocieront pas la moindre virgule du dernier texte proposé aux Britanniques. Trop c’est trop. Mais, à lire entre les lignes, il apparaît très clairement que les Vingt-Sept sont loin d’être sur la même ligne sur la tactique à adopter dans les négociations à venir quoi que l’on nous dise8. Nous en avons eu un excellent exemple lors de la négociation de la date butoir de fin de la négociation du « Brexit ». La voie de la chancelière l’avait emporté sur celle du président français. Au-delà, nul ne sait ce qu’il adviendrait de l’unité de façade si Boris Johnson pratiquait la politique de la division pour arracher le maximum de concessions à ses homologues. Croire qu’il faille mettre en exergue les difficultés internes (Irlande, Écosse9 où la perspective du « Brexit » renforce les indépendantistes10), économie11, étroitesse de la majorité au Parlement après les dernières élections partielles12) de l’homme à la mèche blonde pour l’amener à résipiscence, c’est faire fausse route13. Croire qu’il faille mettre en exergue les inconvénients du « Brexit » pour l’économie britannique, c’est également faire fausse route parce que le peuple en a décidé ainsi14. Surtout lorsque nous apprenons que la croissance de la zone euro marque nettement le pas au deuxième trimestre de l’année 201915. L’Union européenne n’est pas à l’abri de coups de Jarnac de la perfide Albion et de sa place financière et d’éventuels ports francs susceptibles de faire une concurrence déloyale aux crédules élèves européens. Bruxelles, croyant toujours avoir affaire à des gentlemen, entend négocier, comme si de rien n’était. Le gang qui a pris le pouvoir à Londres, aussi select ou érudit soit-il (Boris Johnson et son âme damnée Jacob Rees-Mogg échangent volontiers en latin), ne va pas prendre de gants : l’Europe éparpillée par petits bouts, façon puzzle ! Angela Merkel et Emmanuel Macron se retrouvent déjà Gros-Jean comme devant, attendant Godot-Johnson qui ne viendra pas16.
« La prospective est un art difficile surtout lorsqu’elle concerne l’avenir » (Pierre Dac). Bien malin celui qui peut prédire le cours que vont prendre les choses au cours des prochains mois ? Bien malin celui qui peut prédire l’échéance de ce marathon diplomatico-politique ? Bien malin celui qui peut prédire l’épilogue de ce feuilleton à rebondissements, « deal or no deal » ? C’est que « L’avenir n’appartient à personne. Il n’y a pas de précurseurs, il n’y a que des retardataires ». (Jean Cocteau). Une seule chose est certaine, nous ne devons pas douter un seul instant de la résilience du peuple britannique (Cf. sa conduite lors de la Seconde Guerre mondiale). Moins certaine mais encore que… Boris Johnson semble reprendre à son compte le mot – venu de l’empire du Soleil-Levant – que Proust, dans La Recherche, met dans la bouche de M. de Norpois, mot que devait, de son côté, abondamment citer Clemenceau, le « Tigre », notre proto-Churchill, durant la Grande Guerre : « La victoire est à celui qui est capable de souffrir un quart d’heure de plus que son adversaire »17. Boris Johnson mène le branle face à une Union européenne qui a tout de la désunion européenne."
Guillaume Berlat
12 août 2019
1 Raphaëlle Leyris (propos recueillis par), Jonathan Coe : « Ce que signifie être anglais est devenu une obsession pour moi », Le Monde, 2 août 2019, pp. 16-17.
2 Guillaume Berlat, Brexit pour Theresa ou le joli mois de May, www.prochetmoyen-orient.ch , 3 juin 2019.
3 Hervé Martin, Les gaietés du Brexit dure vues de la France. Au bord du divorce par lassitude, Europe et Grande-Bretagne ne forment plus qu’une communauté réduite aux inquiets. Exemples…, Le Canard enchaîné, 7 août 2019, p. 4.
4 Éric Albert/Jean-Baptiste Chastand, Boris Johnson en route vers le « no deal », Le Monde, 31 juillet 2019, p. 2.
5 Éric Albert, Le père de Boris Johnson supplie l’UE de faire un geste, Le Monde, 1er août 2019, p. 4.
6 Éric Albert, Brexit : la recette économique « trumpienne » de Boris Johnson, Le Monde, 30 juillet 2019, p. 3.
7 Jean Pisani-Ferry, Brexit : l’Europe doit se préparer au « no deal », Le Monde, 4-5 août 2019, p. 27.
8 Sophie Petitjean/Jean-Pierre Stroobants, Brexit : Bruxelles inflexible après la visite du négociateur britannique, Le Monde, 3 août 2019, p. 3.
9 Brexit : l’Ecosse et l’Irlande s’angoissent. Johnson : « Rassurez-vous nous resterons unis pour le meilleur et pour le pitre ! », Le Canard enchaîné, 31 juillet 2019, p. 1.
10 Assa Samaké-Roman, En Ecosse, la perspective du Brexit renforce les indépendantistes, www.mediapart.fr , 3 août 2019.
11 Éric Albert, Les entreprises exaspérées par le Brexit, Le Monde, 1er aout 2019, p. 11.
12 Éric Albert, Premier revers électoral pour Boris Johnson, Le Monde, 3 août 2019, p. 3.
13 Éric Albert, Brexit : Boris Johnson dans l’impasse de l’Irlande du Nord, Le Monde, 2 août 2019, p. 4.
14 Éditorial, Brexit : une illusoire « libération », Le Monde, 1er août 2019, p. 24.
15 Marie Charrel, La croissance de la zone euro marque clairement le pas, Le Monde, Économie & Entreprise, 2 août 2019, p. 12.
16 Antoine Perraud, Le premier ministre Boris Johnson se rêve vainement en Churchill, www.mediapart.fr , 3 août 2019.
17 Antoine Perraud, précité.
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