Incertitudes
De gros investissements sont promis. Seront-ils tenus? Si on veut réduire le transport automobile sur toutes distances, il serait temps de remettre sur rail un moyen de locomotion longtemps délaissé, négligé, privatisé dans de larges secteurs, démantelé en plusieurs parties. Il serait temps de ne plus donner la priorité aux trains à grande vitesse qui ne désservent que les grandes cités aux dépens des villes plus petites et des campagnes délaissées, souvent desservies autrefois. Il serait temps de remettre d'actualité le transport sur rail des poids lourds, qui a été totalement délaissé. Surtout, l'urgence est de remédier aux dysfonctionnements, de redonner à ce moyen de transport la priorité et l'aura qu'il avait avant sa gestion plus ou moins libéralisée, régionalisée, sa politique en zigzag, ouverte à la concurrence "libre et non faussée", dont la réalisation n'est même pas assurée, sinon très marginalement.
La première ministre s'est engagée pour de forts investissements, qui créent le doute dans le monde parlementaire. L'opacité des tarifs pratiqués crée des mécontentements légitimes, qui amènent à se demander si ce service est encore public. ________Pour l'instant, un constat: "... Une panne géante en gare de Montparnasse, bloquant des milliers de voyageurs, a attiré l'attention médiatique ces derniers jours. L'été dernier, le trafic avait été paralysé en raison d’une panne de signalisation. Le réseau vieillissant était pointé du doigt. Le symptôme d'un abandon du service public ferroviaire.
Li
D’ailleurs, là où l’énarque brille vraiment selon les deux journalistes, c’est certainement dans l’art de se rendre intouchable. Sa technique? «noyauter» tout cercle d’influence. Le maître de la communication cajole les journalistes avec des séminaires improbables (cours de cuisine, etc.), et distribue des cartes «T» (une carte VIP non disponible à la vente). À la fois homme d’affaires et haut fonctionnaire, ses réseaux lui ressemblent, du Siècle à tous les ministères où il fait avancer ses protégés. Tout cela assure un soutien sans faille dans les moments critiques, comme lors de la remise en jeu de sa place de président, en 2013. Le seul vrai grief que la Cour des comptes lui adresse est finalement sa propension à une «communication étouffante et dispendieuse»: 200 millions d’euros par an, et 700 salariés dédiés. Souvent, la SNCF s’abstient même de créer des appels d’offres sur ses achats de conseil en «com’», mais l’État actionnaire ferme les yeux, soulignent les auteurs.
Et qu’a-t-il fait, ce propriétaire, sinon fermer les yeux depuis des décennies, sur la lente dérive de la SNCF? Là se trouve peut-être le vrai nœud du problème. Les gouvernements successifs ont tous approuvé sans réserve les décisions de Bruxelles sur la libéralisation du secteur ferroviaire ; ils ne les ont jamais traduites en une stratégie nationale. La réforme ferroviaire de 2018, qui fait reprendre par l’État une partie de la dette de l’entreprise et acte la fin du statut de cheminot, redonne un peu d’oxygène au groupe, et un peu d’espoir aux usagers. Mais sur l’ouverture à la concurrence, le gouvernement continue de faire croire aux Français que rien ne va changer, expliquent Marie-Christine Tabet et Christophe Dubois.
Or tout va changer, et dans un futur proche. L’ouvrage renvoie à l’exemple du fret, déjà libéralisé: en quelques années, la SNCF a perdu 40% du marché, les effectifs concernés ont été divisés par deux, et l’activité continue à perdre de l’argent. L’ouverture au secteur privé pour le transport de personnes va en outre rendre impossible la mission d’aménagement du territoire qui incombait au ferroviaire. Les petites communes devront payer pour maintenir la ligne qui les dessert, tandis que les liaisons entre grandes smart-cities feront l’objet de guerres commerciales acharnées. La SNCF, avec ses surcoûts et son manque d’agilité, risque bien d’y laisser les plumes qui lui restent. Les auteurs concluent d’ailleurs le livre par un chapitre d’anticipation aussi triste que réaliste sur l’entreprise «publique» en 2037, cent ans après sa création... Il laisse le lecteur pris par une amertume très viscontienne, sur ce qu’a été le rail français et ce qu’il ne sera plus jamais...."
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