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samedi 16 novembre 2024

Point d'histoire

           Comment la gauche est entrée en néolibéralisme

      Depuis 1983, qu'on a appelé le "grand tournant", la gauche française a fait un virage, sous l'influence du courant reaganien et thatcherien qui s'imposait à l'époque, à la suite  de l'école de Chicago exaltant les lois du marché et l'affaiblissement de l'Etat comme dogme prioritaire.                                                                                                              ___   "... Dans les années 1980, le néolibéralisme est devenu la force dominante au Royaume-Uni et aux États-Unis, avec des dirigeants conservateurs tels que Ronald Reagan, George H. W. Bush et Margaret Thatcher qui ont remporté plusieurs élections successives et mis en œuvre des politiques néolibérales. Au cours de cette période, la gauche a connu des difficultés électorales, ce qui a conduit à l’émergence de la politique de la troisième voie. En réponse à leurs pertes électorales, la gauche de ces deux pays a commencé à adopter les politiques du New Labour et de la Nouvelle démocratie. Ces politiques cherchaient à mélanger le langage conservateur avec leurs propres programmes pour gagner des élections. Cette approche, appelée « triangulation », consistait essentiellement à enjoliver le néolibéralisme. Je dirais même qu’un [Bill] Clinton ou un [Tony] Blair ont davantage contribué à consolider le néolibéralisme et à le rendre inévitable que Thatcher et Reagan ne l’ont jamais fait. En fait, lorsqu’on a demandé à Thatcher quelle était sa plus grande réussite, elle a répondu que c’était Tony Blair. Elle avait réussi à faire adhérer les travaillistes à ses idées. Blair lui-même a déclaré qu’il considérait que son rôle était de continuer l’oeuvre de Thatcher, et non pas de défaire son travail. Le plus grand privatiseur de l’histoire américaine a été Clinton : il a fait plus de privatisations que Reagan. C’est lui qui a le réduit le plus de dépenses sociales, tout comme il a lancé la guerre contre la criminalité, qui a conduit à l’incarcération de masse, créant ainsi une classe marginale sans pour autant contribuer à la sécurité publique.  Le néolibéralisme a transformé la gauche, qui a perdu le lien entre l’inclusion et l’égalité, entre privilèges et pouvoir. La gauche s’est égarée. Elle a considéré la fragmentation, sociale notamment, comme inévitable. Elle a abandonné l’idée de société, l’idée d’un bien commun plus large. En d’autres termes, elle a abandonné l’idée de solidarité. Nous avons simplement accepté l’idée que la mondialisation et la technologie étaient immuables...."

                    ___ Il y a quelques années, Eric Dupin analysait les transformations de fond des orientations politiques du PS depuis une trentaine d'années, son glissement vers une certaine américanisation, et appelait à sortir la gauche du coma.
"Pour la mouvance socialiste, il n’y a plus aucune alternative au capitalisme. Le débat ne porte plus que sur la question de savoir jusqu’où et par quels moyens on doit régir et réguler le capitalisme". répétait Anthony Giddens, gourou intellectuel du Premier Ministre britannique et chef du Parti travailliste, Tony Blair, promoteur de la troisième voie (The Third Way, titre du livre de Giddens)".
__Le débat semblait clos et les admirateurs de cette mythique troisième voie étaient convaincus que le socialisme pouvait se ramener à agir à la marge du capitalisme libéral, réparer les dégâts de ses excès, en faisant du social, de la remédiation. Dès 1983, le virage mitterandien ouvre la voie à la doxa néolibérale et à ses dogmes: ouverture à une mondialisation sans règles, acceptation d'une certaine désindustrialisation, confiance naïve accordée à la valeur des marchés financiers, engagement dans les privatisations au nom d'une certaine culte de l'entreprise et du "progrès", qui semblait aller de soi après la chute du Mur. Au nom d'une certaine Europe, la gauche renonçait.
_____Jean-Pierre Le Goff remarquait les efforts pathétiques de la gauche pour « maintenir ensemble les morceaux d’une identité éclatée », oscillant sans cesse entre ses conceptions traditionnelles et « une fuite en avant moderniste » censée lui attirer les bonnes grâces des couches sociales montantes.
"L'effondrement du bloc communiste a pratiquement anéanti l'idée d'une autre voie que celle de l'économie de marché. Les transformations du capitalisme financiarisation, transnationalisation) et celle du salariat ont compliqué la question.Mais la professionalisation de l'activité politique, accompagné d'une sélection sociale, a également joué un rôle..." (L.Bonnelli)
__Le PS assiste, impuissant, au creusement des inégalités, sans anticiper sur les orages qui se préparaient. La crise elle-même n'est pas analysée en profondeur, ses causes proches et lointaines sont éludées par les "présidentiables" du PS, et les recettes envisagées risquent fort de faire durer le mal. L'absence de projet, le vide des idées ont été propices à la montée de la guerre des chefs, aux querelles tribales très médiatisées...
     Les "modernistes" du PS donnèrent le ton...


___Jean-Pierre Chevènement fut un des rares à dénoncer
 très tôt les dérives d'une social-démocratie agenouillée devant la loi des marchés.
La gauche s’est ralliée au néolibéralisme, à la désindustrialisation et à l’euro fort et a signé ainsi la fin de sa spécificité.
"Cet idéal d’émancipation culturelle et morale de l’individu a fini par détrôner dans les années 1980, tant dans l’esprit des dirigeants de la gauche que dans les aspirations du cœur de son électorat, les considérations économiques et sociales traditionnelles rapidement devenues « archaïques » à l’heure des restructurations industrielles et de la dérégulation de l’économie. Des demandes non plus sociales mais « sociétales » se sont alors rapidement déployées dans les programmes politiques des partis de gauche des années 1980-90 : nouveaux droits, respect de la « différence », valorisation de la diversité… L’horizon des luttes s’est peu à peu déplacé. C’est désormais l’individu dans ses identités multiples qui doit être émancipé, et non plus le travailleur ou le salarié dans son rapport à la production. Ainsi, par exemple, le triptyque du Parti socialiste français des années 1970 (« nationalisation, planification, autogestion ») qui résumait bien son époque a-t-il été remplacé dans les années 1980-90, par un autre, implicite mais omniprésent : « individu, minorités, diversité ».
    Au-delà de cet aspect culturel, le socialisme européen s’est plus généralement engagé tête baissée dans l’impasse libérale en abandonnant, soit qu’il l’a cru irréalisable soit qu’il l’a cru réalisé, son projet historique. Illusion encore renforcée au lendemain de la chute du Mur de Berlin en 1989 avec la disparition du vieil ennemi communiste. La social-démocratie aurait finalement épuisé son destin historique, la voie particulière qu’elle a historiquement incarnée ayant triomphé. Le réformisme comme méthode (plutôt que la révolution), la régulation de l’économie de marché comme programme (plutôt que l’appropriation collective des moyens de production) et la démocratie politique comme cadre d’exercice du pouvoir (plutôt que la dictature du prolétariat) s’imposant définitivement à gauche.

Mais ce faisant, le socialisme n’a pas su résister aux sirènes du libéralisme ; il en a même parfois volontairement épousé les contours, dans le cas du social-libéralisme. Il a adopté si ce n’est l’idée libérale, qu’il continue à dénoncer avec virulence, du moins son contenu matérialiste et consumériste, voué au culte de la croissance pour elle-même à coup de dérégulation, de flexibilité et de privatisation, mais aussi son projet culturel tout entier forgé autour de l’individu et de ses droits sans cesse étendus, et bien évidemment son programme politique qui privilégie les formes institutionnelles de la représentation et de la préservation des intérêts individuels au détriment d’une ouverture plus collective, plus égalitaire, plus démocratique (participative dirait-on aujourd’hui) du champ politique et social.

De la sorte, les socialistes, sociaux-démocrates et autres travaillistes européens ont largement ignoré la question, pourtant constitutive de leur 
ethos, de la répartition des richesses et de l’équilibre entre capital et travail. Ils ont littéralement abandonné le terrain de la lutte pour l’égalité au profit d’une promotion de la « diversité » qu’ils ont érigée en valeur. Ils ont aussi délaissé la notion fondamentale de solidarité en autorisant une politique généreuse d’accès à l’Etat social à de nouveaux ayants droit sans toujours exiger un quelconque devoir en retour de leur part. En négligeant de repenser le rôle de l’Etat pour l’adapter à son temps, ils ont laissé le slogan authentiquement néolibéral de Ronald Reagan, « l’Etat comme problème plutôt que comme solution », devenir le principe directeur de la réforme des politiques publiques. Ils ont oublié que le but de la vie sociale ne pouvait se résumer à un pur matérialisme, de la même manière qu’ils ont laissé faire les libéraux lorsque ceux-ci ont vu dans les nouvelles aspirations démocratiques et les nouvelles formes de la participation à la vie politique une menace plutôt qu’une chance pour les sociétés contemporaines. Bref, ils ont capitulé.
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