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lundi 24 février 2025

Au pied du mur

 Tournant historique

Après un scrutin complexe, des résultats sans appel

    Les alertes n'ont pas été efficaces. La question allemande revient sous une nouvelle forme, plus inquiétante.


 On peut résumer ainsi la situation:                                                                                                                                             : TRIOMPHE DE LA DROITE DURE ET DES NÉO-NAZIS

«Où que nous regardions, l'ombre gagne. L'un après l'autre les foyers s'éteignent. Le cercle d'ombre se resserre.» Aimé Césaire
La résistible ascension du fascisme dans le monde se poursuit. Notre regard se tourne vers l'Allemagne, pays que l'on espérait immunisé, après avoir fait basculer le monde dans la guerre totale, la barbarie raciste et le génocide il y a 80 ans. Il n'en est rien. Le résultats des élections législatives qui ont eu lieu en Allemagne ce dimanche 23 février 2025 nous rappelle que rien n'est jamais acquis, et que la pire des obscurités peut regagner du terrain à tout moment.
⚫ Premier enseignement du scrutin : une participation très élevée.
Les autorités estiment qu'entre 83 % et 84 % du corps électoral s'est déplacé dans les urnes. C'est le niveau de participation le plus élevé depuis la réunification du pays après la chute du bloc de l'Est. Autrement dit, on ne peut même pas se rassurer du résultat désastreux par un boycott populaire des urnes : ce sont des dizaines de millions de personnes qui ont plébiscité la droite radicale et l'extrême droite, dans le pays le plus peuplé et le plus riche d'Europe.
⚫ Deuxième enseignement : le triomphe de la droite.
Le grand parti conservateur, la CDU qui est l'équivalent des Républicains en France, fait carton plein avec autour de 30% des voix selon les premiers résultats diffusés par les médias publics. Comme en France, ce grand parti de droite s'est radicalisé ces dernières années : plutôt centriste à l'époque de la chancelière Angela Merkel, il s'aligne désormais sur les positions les plus réactionnaires. À sa tête, un certain Friedrich Merz, qui est à la fois politicien et homme d'affaires, et qui a notamment travaillé pour la banque HSBC. Toute ressemblance avec un certain Macron est tout à fait fortuite…
Il y a quelques jours, cet homme a brisé un tabou absolu en Allemagne, en votant une résolution anti-immigration avec l'extrême droite. Un fait inédit depuis la chute du nazisme, qui a provoqué de grandes manifestations dans tout le pays.
Merz est décrit comme «conservateur sur les questions sociétales» notamment concernant les LGBT ou l'avortement. Il s'oppose aussi à la parité hommes-femmes, au gouvernement comme dans son parti. Économiquement, c'est un ultra-libéral qui veut durcir les règles d'indemnisation du chômage. Ici encore, toute ressemblance avec la France... Enfin, Merz veut «des mesures drastiques contre l'immigration» et investir massivement dans l'armement pour «rétablir les capacités de Défense» du pays. Quand l'Allemagne se droitise et se réarme brutalement, il faut s'inquiéter sérieusement.
⚫ Troisième enseignement : les néo-nazis de l'AfD poursuivent leur ascension fulgurante.
Si le Front National a mis plusieurs décennies à atteindre le niveau qu'on lui connaît, L’Alternative pour l’Allemagne – AfD – n'a qu'une dizaine d'années ! Le parti arrive en deuxième position et obtient près de 20% des voix. Il double son score réalisé lors des précédentes élections. Et l’AfD est un mouvement qui ne prend même pas la peine de faire semblant et ne joue pas la carte de la dédiabolisation.
Ses représentants ont rencontré en 2023 d’autres groupes néo-nazis pour discuter de la possibilité d’expulser d’Allemagne des millions de personnes. Cette conférence avait eu lieu à Wannsee, une commune au sud de Berlin très symbolique : c’est là que les nazis avaient élaboré la solution finale. La devise des SA était «Alles für Deutschland», l’un des slogans de l’AfD est «Alice für Deutschland», Alice Weidel étant la cheffe du parti.
Un responsable de l’AfD avait jugé, début 2024, que tous les SS «n’étaient pas des criminels». L’une des affiches de campagne du parti comporte le slogan «Nous protégeons nos enfants», et montre une famille blonde aux yeux bleus, avec les deux parents bras tendu, comme un salut nazi, se rejoignant pour former un toit au dessus de leur progéniture. Juste avant le scrutin, l’AfD a glissé dans la boîte aux lettres d’habitant-es d’origine étrangère des imitations parfaites de billets d’avion pour un voyage sans retour. Alice Weidel salue ce soir le «résultat historique» de son parti et se réjouit : «Nous n’avons jamais été aussi forts au niveau national».
L’AfD a bénéficié du soutien total, depuis des mois, du clan de Donald Trump et en particulier d'Elon Musk, qui a mis sa plateforme au service de l'extrême droite allemande durant toute la campagne, et a personnellement publié des dizaines de tweets pour le parti, avec son compte qui bénéficie de plus de 200 millions d'abonnés. Musk est même intervenu dans un meeting de l'AfD pour rassurer les militants néo-nazis, en leur expliquant qu'ils ne doivent pas avoir honte d'être allemands et qu'ils sont un grand peuple de guerriers.
L'AfD déclare ce soir : «Nous sommes ouverts à des négociations de coalition avec la CDU» et souligne sa place incontournable : «Sinon, aucun changement de politique n’est possible en Allemagne». En effet, le Parlement Allemand compte 630 sièges, la CDU en raflera autour de 197 et l'AfD presque 140. Ces deux partis pourraient avoir une majorité s'ils s'alliaient.
⚫ Autre enseignement : le parti social-démocrate est mort.
Le SPD, équivalent du PS français, s'effondre alors qu'il était au pouvoir, avec autour de 16% des voix. C'est une chute sans précédent depuis la seconde guerre mondiale. Pour autant, vu de France, ce score reste étonnamment haut pour un parti de social-traîtres, alors que notre PS est descendu à 2%. À la tête du SPD, on trouve un certain Olaf Sholtz, une sorte de Valls germanique qui était membre de l'aile droite du parti à l'époque du chancelier Gerhard Schröder, et qui a appliqué des mesures néolibérales dévastatrices pour les classes populaires. Comme d'habitude, la gauche qui trahit ouvre la voix au fascisme.
Les Verts, alliés des socialistes, font autour de 13% des voix. Le parti confus BSW, qui mêle une ligne anticapitaliste et anti-immigration frôle les 5%, comme le parti centriste. Die Linke, le parti de gauche, sauve les meubles avec 8% des voix, après avoir beaucoup reculé par le passé.
⚫ Dernier point : quelle coalition pour diriger l'Allemagne ?
Le Parlement allemand sera fragmenté, puisque les élections sont proportionnelles. Il faudra donc former une alliance entre partis. La CDU veut composer un gouvernement au plus vite : «Il s’agit avant tout de former le plus rapidement possible un gouvernement opérationnel en Allemagne, avec une bonne majorité parlementaire. Le monde extérieur ne nous attend pas».
Pour l'heure, la CDU n'osera sans doute pas faire rentrer les néo-nazis dans son gouvernement, et va se tourner vers les socialistes.
À l'issue de ce scrutin assez catastrophique, il y a trois possibilités. La plus probable donc : une coalition mêlant la droite dure et la gauche molle avec l'AfD comme grand parti d'opposition. Ce qui risque de faire monter encore plus le dégoût et la colère, et alimentera le fascisme. Moins probable en l'état actuel des choses : une alliance néofasciste tout de suite, qui aurait la majorité au Parlement mais qui reste inacceptable pour une bonne partie des allemands.

Enfin, et c'est la seule perspective qui ne mène pas le pays le plus peuplé d'Europe vers l'extrême droite et la guerre : une recomposition de la gauche et surtout un puissant mouvement social pour empêcher cet engrenage. L'Allemagne est au pied du mur.    _____     Un score historique  __    Point de vue ___                                                                        

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