Les Français et leur chère télé
Une étrange fascination
Que cherchent-ils dans ce rituel formaté?
-De l'info sans info?-
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Les journalistes préférés « des Français » ? À mourir de rire ou de pleurer ? - AgoraVox:
"On savait que mieux vaut être beau, riche et en bonne santé plutôt que laid, pauvre et malade. Un sondage réalisé par l’IFOP du 21 au 26 octobre 2009 apprend sans trop de surprise quelle image d’un journaliste se feraient « les Français », supposés représentés par les 1007 personnes de l’échantillon étudié. Mais on peut s’interroger sur leur discernement et la qualité de leur information et, par voie de conséquence, de la démocratie. Un journaliste serait, pour eux, un individu beau, durablement exposé aux regards, et à l’expertise incertaine.
Quarante journalistes sont ainsi classés par préférence. Et le vainqueur est un certain Harry Roselmack de TF1, suivi d’une certaine Marie Drucker de France Télévision, fils de son père et nièce de son oncle, la médaille de bronze revenant à l’inusable PPDA recyclé sur Arte après avoir été viré de TF1. Que vaut ce palmarès ? Il en apprend plus sur les leurres assez frustes qui permettent d’influencer les esprits d’une masse de français désorientés et crédules, qu’il ne confirme les qualités des lauréats distingués. Qu’observe-t-on, en effet, à parcourir ce classement farfelu ?
1- Le critère de la primauté de l’image et du son sur l’écrit
D’abord, il n’est de journaliste qu’à la télévision, un peu à la radio et pas du tout dans la presse écrite. « Les Français » ne s’informent, en effet, pour la plupart, que par la télévision et la radio, voire Internet ; ils lisent de moins en moins les journaux. Il est donc normal qu’un journaliste soit un individu qu’on voit à la télévision ou qu’éventuellement on entend à la radio : les Roselmack, Drucker, PPDA, Pujadas, Delahousse, Denizot ou Chazal accaparent dans l’ordre les premières places.
Ceux qui exercent à la radio se retrouvent en queue de liste, les Parizot (33), Poincaré (35) ou Demorand (37). Mais cumuler une radio et une chaîne de télévision leur vaut de précéder leur collègues rivés à une radio : Apathie (26) est sur RTL et Canal +, Bourdin (30) sur RMC et BMF TV.
Le journaliste de presse écrite ne trouve grâce que si on le voit aussi sur une chaîne de télévision : c’est le cas de Giesbert (27) du Point qui apparaî tsur France 2, Barbier (34) de L’Express, sur LCI, et de Zemmour (38) du Figaro qui participe à l’émission « On n’est pas couché » sur France 2. Ainsi l’image l’emporte-t-elle sur le son, et l’une et l’autre exercent leur primauté sur l’écrit.
2- Le critère de la durée d’exposition
Comment se départagent ceux à qui la télévision donne une apparence d’existence par l’image ? On s’en doute, le choix est corrélé à leur durée d’exposition. Plus l’image est longuement exposée, plus le journaliste est préféré.
- Cela dépend d’abord de la réception de la chaîne de télévision sur le territoire : ainsi TF1, France Télévision et M6 ont-elles plus de chances de promouvoir leurs poulains que les chaînes parlementaires par exemple. On reconnaît leur part respective dans le classement ci-dessus.
- Ensuite, plus l’exposition est répétitive, plus le journaliste a de chances d’être distingué : les premiers appartiennent tous à des journaux télévisés, ceux du « 20 h » ou du « 13 h ». En somme, c’est la fonction de présentateur plus que celle de journaliste qui permet de rester le plus longtemps à l’antenne. Les maîtres d’hôtel et les serveurs sont en salle et donc vus des clients , mais pas les cuisiniers. Une exception toutefois échappe à la règle : Ferrari du « 20 h » de TF1 n’arrive qu’en 19ème position. Est-ce dû à sa qualité d’usurpatrice indésirable du poste occupé depuis des lustres par le très aimé PPDA ? Peut-être.
- L’ancienneté de l’exposition, est, en effet, un atout décisif : on compte dans le groupe de tête des vieux de la vieille : PPDA (3), Denizot (6), Chazal (7), Pernaut (8), Lucet (9), Amar (13) Durand (15).
3- Le critère d’esthétique
Le troisième critère auquel le choix est aussi corrélé, est la beauté ou la grâce, à de rares exceptions près. Un beau garçon et une jolie fille ont davantage de chances d’être plébiscités, d’abord tout simplement parce que la télévision recrute principalement sur ce critère et écarte en général la disgrâce : nul ne contestera les qualités esthétiques de Roselmack (1), de Drucker (2), de Delahousse (5), de Chazal (7), de Pulvar (14), de Theuriau (16), de Lapix (17), ou de Ferrari (19). De vraies poupées ! Arlette Chabot (20) fait figure d’exception, mais elle a pour elle l’ancienneté de l’exposition. On s’étonne de ne pas trouver la gamine Érika Moulet de LCI qui avait, le 11 avril 2009, mis dans tous ses états l’équipe de « On n’est pas couché » avec en tête Laurent Ruquier (1).
À l’évidence le meilleur journaliste est une belle fille ou un beau garçon. Rien de nouveau sous le soleil depuis que Mac Luhan a énoncé son paradoxe : « Le médium est le message ». Mais Blaise Pascal l’avait pressenti bien avant lui : dans ses « Pensées », en effet, il parie « la perte de la gravité » du plus grave des sénateurs à la vue d’un prédicateur à qui « la nature (a donné) une voix enrouée et un tour de visage bizarre, que son barbier (a) mal rasé et (que) le hasard a encore barbouillé de surcroît, quelques grandes vérités qu’il annonce ». Inversement, qu’importe ce que disent un beau garçon et une jolie fille, y compris des balivernes ! Leur charme subjugue. Il est à soi seul l’information essentielle rejetant en périphérie du champ sensoriel les paroles qu’ils peuvent prononcer. Le spectateur est prisonnier d’une sidération, attiré par le leurre d’appel sexuel qu’ils représentent.
Il faudra, cependant, commencer à s’interroger sur la préférence que les sondages accordent à des personnalités noires : Ici, Roselmack est le journaliste préféré ; mais avant lui, Yannick Noah a été présenté comme la personnalité la plus appréciée des Français, tout comme l’est Mme Rama Yade parmi les membres du gouvernement. C’est au moins une curiosité dans une nation qui n’est pas à majorité africaine. Faut-il y voir une réaction compensatrice de la part d’une ancienne puissance coloniale qui expie à peu de frais une mauvaise conscience ? C’est en tout cas à rapprocher du plébiscite compensateur d’une icône de la charité comme l’Abbé Pierre dans un pays que les inégalités menacent d’ « une fracture sociale », selon la formule d’un dangereux révolutionnaire.
4- Et le critère d’expertise ?
Du coup, auprès de ces trois critères d’esthétique, d’exposition et d’image, celui d’expertise semble compter pour des clous. Nul ne s’en soucie. De quelles compétences ont donc fait preuve ces journalistes préférés du sondage ?
- Certains sont encore très jeunes, comme Theuriau (31 ans), Drucker (35 ans), Roselmack (36 ans) Pulvar (37 ans), ou Lapix (37 ans). Que connaissent-ils de la relation d’information sinon ce qu’ils en ont appris au cours de leur formation initiale. Car, il faut beaucoup d’années pour se défaire de ses erreurs. Même à Sciences-Po Paris, on s’en souvient, ce qu’on apprenait était dans le droit fil de la doxa journalistique en vigueur avec ses erreurs affligeantes. Il ne semble pas que ça ait beaucoup changé. Ne parlons pas des autres formations. Il n’est que d’entendre ressasser les erreurs de « la théorie promotionnelle de l’information diffusée par les médias ». On ne cesse de les dénoncer sur AgoraVox (2).
___________- Quand on voit opérer, d’autre part, ces jeunes journalistes en interview, ils se montrent experts seulement en information donnée et en information indifférente, voire déférente. Pas question, par exemple, de reprendre une erreur commise par le président de la République ! Ils n’ont, en tout cas, aucun titre à faire valoir en information extorquée, comme un Pierre Péan, seule information pourtant qui compte dans la formation de l’opinion du citoyen. Mais pour cela, il leur faudrait courir le vaste monde, ce qui nécessiterait qu’au tronc qu’ils exhibent à l’écran leur poussent des jambes ou qu’ils assoient leurs fesses ailleurs que sur les consoles d’une régie, comme l’a fait la petite Drucker (3). Seulement, on les verrait moins souvent à l’antenne et ils ne seraient plus les journalistes préférés « des Français ».
- Quant aux vétérans, ils se sont souvent signalés par des bévues ou des erreurs qui auraient dû les priver de tout crédit pour le restant de leurs jours. Durand, officiant sur l’ancienne « 5 », retransmettait directement, en décembre 1989, la propagande de la télévision, Televiziunea Libera Romana, celle des révolutionnaires de palais qui ont renversé Ceaucescu : on appelait ça « l’Histoire en direct » ou « La révolution en direct » ! PPDA s’est illustré en travestissant une conférence de presse collective de Fidel Castro en entretien particulier le 16 décembre 1991, sans compter ses démêlés judiciaires qui ont révélé les somptueux voyages que lui offrait l’homme d’affaires Botton en toute indépendance sans doute. Quant aux Chabot, Pernaut, Chazal ou même Amar, leur impartialité n’a pas toujours été au-dessus de tout soupçon. On se souvient d’une bise d’Arlette Chabot au candidat Sarkozy lors du débat télévisé du second tour de la présidentielle, en mai 2007 ! On connaît l’adage anglo-saxon sur la justice. Il devrait valoir aussi pour les médias : « Justice must not only be done, it must also be seen to be done ». L’impartialité attendue doit s’accompagner aussi d’une apparence d’impartialité respectée.
-Or, sauf erreur, les citoyens français sont tenus pour alphabétisés à près de 100%. Quelle différence y aurait-il s’ils ne l’étaient pas, à se laisser ainsi abuser par les leurres de l’image, de la durée d’exposition et de l’apparence physique ? Ni mémoire ni sens critique ne paraissent affecter les pulsions libidinales qui les portent vers telle ou telle des marionnettes télévisées : à « l’heure des infos », celles-ci peuvent leur délivrer « ce qu’il faut savoir de l’actualité » sans craindre de susciter l’incrédulité, puisqu’ils l’auront « vu à la télé » et entendu de la bouche de leurs journalistes préférés. Avec pareil auditoire crédule, il n’est pas exclu qu’on puisse entendre un jour, comme on le lisait dans les journaux en 14-18, que les balles de l’ennemi ne tuent pas ou qu’il faut l’injurier pour le forcer à se battre, et autres bobards de même tonneau qui seront gobés d’autant plus facilement que « le médium est le message » comme l’habit fait le moine et le journaliste. Est-ce à mourir de rire ou de pleurer ? (4). Paul Villach
(1) Paul Villach, « Laurent Ruquier aux pieds d’Érika Moulet : ces deux abîmes où sombrent l’information télévisée », AgoraVox, 16 avril 2009.
(3) Paul Villach, « Une quête pathétique de crédibilité entre posture... et imposture », AGORAVOX, 1er juin 2006
(4) Paul Villach, « Tous ces bobards dans les journaux, pendant la guerre de 14-18 : un cas d’école », AgoraVox, 18 novembre 2008.
-Journalisme de guerre, journalisme de propagande
-Tous ces bobards dans les journaux, pendant la guerre de 14-18 : un cas d'école - AgoraVox
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