Etrange époque...
Les nouvelles armes provoquent une troublante et inquiétante fascination,
Ah Dieu! que la guerre est...moderne! Elle a encore un bel avenir...
L'épée pouvait terroriser, mais le porte-avion dernier cri, le Rafale ultra-profilé, le char Leclerc impressionnant, le drone militaire furtif ne provoquent plus l'effroi. L'armement s'est esthétisé en se rendant technologique, devenant presque en apparence des jouets d'un nouveau genre, comme l'équipement informatisé du GI en campagne. L'équipement du soldat de 1945 apparaît comme d'un autre âge à côté de celui du technicien du combat d'aujourd'hui. La guerre se modernise et se virtualise, s'aseptise, se digitalise.
Nous entrons dans une drôle d'époque. Le "jamais plus la guerre" se double d'une course à l'équipement de plus en plus sophistiqué, très cher, de plus en plus nombreux. Quitte parfois à ne jamais servir. Les pétrodollars ont besoin de se placer ou il faut créer l'esbroufe politique en montrant ses muscles.
Les nouvelles technologies font une entrée ultra-rapide et spectaculaire dans le monde de la défense, des forces armées. Le "progrès" est constant dans ce domaine, comme le notait Voltaire, mais aujourd'hui, il s'emballe.
Au point de rendre la guerre abstraite, "lointaine". Les pixels entrent dans les batailles, qui se livrent du haut du ciel ou sur des consoles , à des milliers de kilomètres. Déjà le pilote de chasse ne voyait jamais l'ennemi au cours de ses incursions au-dessus du Vietnam. Fire and forget...
Les nouvelles armes deviennent des objets d'exposition, où les engalonnés de tous pays se retrouvent régulièrement, comme à la fête, en présence de ministres rayonnants et diserts.
A Eurosatory: on peut faire son choix.
Bienvenue au salon de la guerre!
De nouveaux marchés s'ouvrent partout. Sans parler des clandestins.
Le commerce des armes ne connaît pas la crise -
Comme si l'économie ne tenait que par le secours de la production et la vente des engins de mort. Il faut compter avec le PIB...Il faut trouver des débouchés dans une lutte féroce entre fabricants. Le Président va en personne montrer sa quincaillerie aux princes arabes. L'Allemagne est plus discrète, mais ne veut pas être en reste, les USA tiennent le haut du pavé avec un budget faramineux, produisant ce qui deviendra vite obsolète. Mais l'empire peut se permettre de vivre à crédit, détenant l'imprimante à dollars.Et de puissants groupes mettent la pression.
Dans le cas bien particulier du petit Israël, les nouvelles technologies et les armes entrent comme en symbiose et l'exportation est devenue une priorité, dans une sorte d'obsession high tech.
Déculpabilisant l'agresseur, traumatisant moins le combattant, devenu souvent agent privé, la mort, de plus en plus, est vue du ciel... (*)
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___ (*)___ Les nouvelles technologies des diverses armées mondiales cherchent, toujours plus, à distancer le tueur et le tué. La guerre menée par Israël contre la Palestine, qui se joue désormais le plus souvent dans l'espace aérien, en est l'un des cas les plus criants.
Au cours de ces cinq dernières années, les ventes militaires annuelles de ce pays lui permirent d'engranger 7 milliards de dollars, le plaçant ainsi dans le top 10 des nations exportatrices d’armement....
Ce succès financier n'est pas sans faire écho aux analyses d'Ernest Mandel sur le capitalisme tardif : l'économiste marxiste affirma que l’existence permanente d’une économie d’armement empêcherait les économies capitalistes de sombrer dans la crise¹. Cela requiert, en Israël, une innovation constante en matière de production de nouvelles technologies : lors de l'opération Bordure protectrice, de nouveaux types de systèmes de détection, de drones et d’outils de surveillance ont été introduits et expérimentés dans le théâtre guerrier de Gaza. Ces technologies de pointe conduisirent à la mort de plus de 2 000 Palestiniens – la plupart d’entre eux étaient des civils, dont environ 500 enfants. Funeste coïncidence : moins d’un mois avant le commencement de l'opération, l’édition 2014 d’Eurosatory, grande exposition internationale « pour la Défense territoriale et aérienne », accueillait le Pavillon national d’Israël. L'évènement se tient à Paris, tous les deux ans, sous l’égide du Ministère de la Défense hexagonal. Eurosatory assure « façonner la Défense de demain » et se définit comme le seul forum capable de garantir à ses participants un accès immédiat aux marchés internationaux de défense et de sécurité. « Mission Accomplie ! », fanfaronnait le site Internet de l’exposition, qui compta plus de 55 000 visiteurs et 1 504 exposants, issus de 58 pays. Trente entreprises israéliennes (un nombre record) purent y présenter une large panoplie de « solutions avancées pour combattre des guérillas en zones urbaines, en réponse aux besoins urgents des forces armées d'aujourd'hui »...
L'Eurosatory gomme intégralement la violence et la transforme en produit à vendre — ce qui permet également d'utiliser les enjeux identitaires et nationaux à des fins publicitaires, servant ainsi les intérêts des entreprises....
La chaîne Youtube de l’armée israélienne contient de nombreux petits vidéo-clips montrant les frappes de l’opération Bordure protectrice. Une guerre, vue de loin. Ce n’est pas une chose nouvelle. En 1944, l’aviateur américain Charles Lindbergh avait écrit, à propos de la mort à distance : « Tu appuies sur un bouton et la mort s’envole. D’abord, la bombe est bien accrochée, en sécurité sous ton appareil, complètement sous contrôle. La seconde d’après, elle dévale les airs et tu n’as plus aucun pouvoir pour revenir en arrière... Comment pourrait-il y avoir des corps mutilés, tordus ? [...] C’est comme écouter le bruit d’une bataille à la radio, de l’autre côté de la terre. Tellement loin, et séparé du poids de la réalité. » Plus besoin d'imaginer les « corps mutilés, tordus » au sol. Un avantage, même, puisque cela permet d’expérimenter la guerre, ajoute Lindbergh, par « l'écran d'un cinéma à l'autre bout du monde ». Sa métaphore s'est réalisée — et radicalisée — dans les guerres actuelles de drones...
Dans le flot d’images qu'a généré la seconde guerre du Golf, on notait surtout, qu'il n’y avait rien à voir . Utilisant les mêmes procédés que Tsahal, la guerre du Golf fut définie par cette utilisation de l'arme-image ou, comme le précise la documentariste Alisa Lebow, du « point de vue de l’arme ». Point de vue dans lequel la « caméra est positionnée dans l’extension de l’arme
», et, dans le cas qui nous intéresse, directement sur le drone. Cette
perspective verticale est peut-être le meilleur symbole de la nature
nouvelle de la guerre et de la surveillance — version améliorée du panoptique du philosophe anglais Jeremy Bentham³.
En Irak, la caméra vidéo d’un tank qui transmettait ses actions en
temps réel, par satellite, choisissait de se placer du point de vue du «
sujet occidental et de sa souffrance ». De ce point de vue, « la mort et les souffrances de l'Irakien ont lieu hors du champ ». La guerre-image mit en scène la victoire américaine, et l’image elle-même devint donc l’événement.
Fin de l'ennemi visible...Dans toute la panoplie d'armes produites par les Israéliens qui furent présentées à Eurosatory, l'idée avancée par Feldman prédomine : « Le plaisir de voir sans être vu donne de la puissance aux actes de violence ». La menace de la violence et le pouvoir à distance sur leur cible génèrent une crainte constante et un respect qu'induit la force technologique, permettant aux occupants de régner tout en ayant un contact minimal avec la population occupée. Cette violence par la mise à distance visuelle est un élément clé du maintien de l’occupation des territoires palestiniens. Le bombardement de Gaza, il y a un an, visait à instaurer une domination totale. Mais il est primordial de garder à l’esprit, en dehors de ces « opérations », cette domination distante et constante maintenue sur les territoires palestiniens. En effet, Eyal Weizmann, auteur de l’ouvrage L’architecture israélienne de l’occupation, démontre qu’à la suite de l’évacuation de la bande de Gaza, en 2005, un nouveau type d'occupation commença : une occupation invisible, une « occupation par les airs ». D’après Ephraim Segoli, pilote d’hélicoptère et ancien commandant de la base des forces aériennes à Palmahim, les frappes aériennes par des drones contrôlés à distance sont « la composante centrale des opérations de Tsahal » et « la véritable essence de la guerre qui est menée ». Le général major Amos Yadlin, nouveau chef de l’intelligence militaire israélienne, disait en 2004 : « Nous essayons de comprendre comment il est possible de contrôler une ville ou un territoire par la voie aérienne, rendant illégitime l'occupation de ce territoire depuis le sol... »
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