Désespérer de (l'avenir de) notre langue?
"Ne faut-il secourir
Notre langage et le faire fleurir... (F.Habert -1549)
Le titre du livre de A. Borer sonne comme une provocation. C'est plutôt un constat et un avertissement d'un vigie de la langue, sans nostalgie réactionnaire et passéiste ni catastrophisme réducteur. Ecrit avec talent et humour.
Avec beaucoup d'érudition et aussi beaucoup d'esprit, il pointe les mutations accélérées qui font de plus en plus de notre langue, sous l'effet d'une mondialisation qui fait sentir ses effets jusque dans nos esprits, une pâle et parfois ridicule imitation de la langue commerciale dominante.
Ce qui est en question n'est pas l'anglais, langue belle et difficile, qui doit tant au français, comme l'a montré Henriette Walter, mais ses dérivés de plus en plus envahissants, souvent déformés et inadaptés, qui s'insèrent dans la langue du commerce ou des échanges communs, quand la nécessité ne l'impose pas, supposés faire modernes. C'est ce qu'il appelle l' «englobish», le définissant comme «l’anglo-américain qui se
mondialise [et] s’impose à l’intérieur des autres langues en substituant
aux différentes cultures ses représentations et ses modèles culturels,
donc, à terme, juridiques et politiques».
La multiplication accélérée de ces emprunts non raisonnés lui semble être comme une démission, un abandon, une soumission ridicule à la langue du maître, que dénoncent souvent les Québecois, plus résistants linguistiquement, dont s'étonnent certains chroniqueurs du NY Times. (..."ce phénomène d’anglomanie (qui) semble se généraliser dans toute la France et
dont les illustrations ne laissent pas d’étonner. La langue de tous
les jours en est affectée ; dans les commerces, les médias, les
publicités, en politique, on emprunte directement à l’anglais pour
faire moderne, tendance, à la page, pour se distinguer de la « plèbe »
restée franchouillarde, pour marquer son appartenance à un monde
unifié, globalisé, interconnecté, électrostatique, sans frontières. Les
emprunts à l’anglais sont de plus en plus délibérés, choisis à la
manière d’une signature, d’un logo, d’une image de marketique (sic) qu’on
lance à la volée pour épater le Gaulois ; plus l’emprunt est
fracassant, grossier, tonitruant, meilleure est la réclame...)
Comme le disait J.Eudes, la conquête des esprits continue son oeuvre, à notre insu.
Aujourd'hui, le comble du modernisme consisterait à maltraiter la langue ou à ne la considérer que comme un instrument. Elle est bien plus: elle est une âme, elle véhicule une histoire profonde, elle est porteuse de sens, bien plus qu'on ne le croit.
L'école elle-mêle s'est inclinée, depuis les années Giscard et son éloge du "modernisme". L'enseignement du français n'a cessé de diminuer. L'enseignement systématique, du vocabulaire, des règles de grammaire a été officiellement considéré comme une contraintes à éviter, comme si la maîtrise de la langue maternelle allait de soi. La lecture s'est réduite et on voit aujourd'hui les effets, notamment une baisse du niveau scolaire préoccupante au point que même dans les grandes écoles, on commence à sonner le tocsin, car la mauvaise qualité de la langue a des conséquences sur toutes les autres disciplines.
Mais aussi le pragmatisme ambiant fait, comme dit l'auteur, que «La langue française abandonne son projet humaniste pour s’adapter à l’espace libéral».
Toute langue vit, pas seulement de ses racines (aujourd'hui officiellement déniées), mais aussi de ses emprunts. Il y en a toujours eu. Mais aujourd'hui, ils se font à une rythme sans cesse accéléré à l'écrit comme à l'oral et sans nécessité, à la télévision comme sur la place du village, appauvrissant la langue maternelle sans qu'on s'en rende compte. Jusqu'au grotesque, comme dans le néologisme (?) maisoning.
«Jamais dans toute son histoire, la langue française n’avait connu une intrusion aussi massive de mots hétérophones. […] L’adoption de mots anglais sans transformation signifie: ‘‘Nous préférons la langue du maître’’.»
Il n'est pas jusqu'en plus haut lieu que la langue est malmenée.
Notre langue est en souffrance, et nous nous évertuons à la traiter de la pire des manières, par panurgisme bêlant, qui ferait rire un Londonien, et par abandon de certains principes qui font qu'une langue est une langue, capital précieux s'il en est, porteur de valeurs et de profondeur, de construction de soi.
Le bon sens est souvent même bafoué. Le manque de maîtrise de la langue et de rigueur dans le vocabulaire et l'expression rend réceptif à touts les conditionnements.
___ Bref, un livre stimulant et non larmoyant, qui nous invite à remettre l'anglomanie en question (mais pas la langue de Shakespeare), à relire La mondialisation et le français du linguiste Claude Hagège et à retrouver un peu de bon sens.
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