Vraiment cons
Ces rushs sauvages sur des produits en promotion, destinés à attirer le client à tout prix et éventuellement à le fidéliser, ne sont pas rares. Produits ménagers ou alimentaires, qui va résister à une montagne de Nutella bradé à prix coûtant? Lidl s'est spécialisé dans ce genre d'opérations coup de poing et d'autres suivent. Une publicité gratuite est assurée, surtout quand le rush devient sauvage et médiatisé, comme la lutte autour du produit vanté, qui nécessite parfois l'intervention de forces de l'ordre. Comme des affamés dans une région sahélienne autour d'un sac de riz vital.... Tout ça pour un robot cuiseur! Pauvres nécessiteux! on comprend leur frénésie...
Voilà à quoi nous mène un système qui pousse certains à une consommation à tous prix, à des actes irrationnels qui dénotent un inquiétant conditionnement et un individualisme parfois forcené. Tout nous incite à profiter de la "bonne affaire", même si nous ne sommes pas des nécessiteux. à des réductions permanentes, comme si des cadeaux nous étaient faits en permanence, comme si nous étions des rois dans le royaume de la consommation à outrance, qui prétend nous donner pouvoir et distinction, jusqu'à la saturation. Et beaucoup entrent dans le jeu à l'excès, comme des victimes consentantes mais ignorantes des mécanismes qui les poussent à acheter même sans nécessité. Le low cost explose, oui, mais à quel prix? Premier gagnant: l'individualisme exacerbé, la perte des valeurs de solidarité pour faire société et une infantilisation certaine. Comme disait Galbraith, « La croyance en une économie de marché ou le client est roi est l’un de nos mensonges les plus envahissants”
Le consommateur est roi, nous serine-t-on, à longueur d'ondes et de slogans alléchants.Voire...
Il existe des rois sans pouvoirs, des rois déchus ou des rois dominés.
Un slogan illusoire.
Dans Au bonheur des dames déjà, Zola montrait la stratégie des marchands en quête de clientèle parisienne aisée. Ils savaient déjà habilement faire jouer les passions, l'envie et la distinction, dans des grands magasins où il fallait étonner par des produits aussi divers que nouveaux.
Le consommateur, même si son pouvoir de choix n'est pas nul, dans le cadre d'un état de production donné, ne serait-il pas plutôt le pigeon d'un système, sans qu'il en ait conscience?
La demande existe bien, stimulant l'offre, mais c'est aussi et en premier lieu l'offre qui crée et conditionne structurellement la demande, comme le reconnaissait déjà J.Say.
Problème de l'oeuf et de la poule?
Les besoins humains sont premiers, bien sûr, et l'offre marchande, pour les satisfaire de manière de moins en moins élémentaire, fut là pour y répondre dès qu'il y eut division du travail. Mais en produisant des marchandises de plus en plus diverses et sophistiquées, jusqu'à sortir du strict domaine utilitaire, l'offre créa réellement la demande. Des biens, des services auxquels personne n'avait pensé s'offrent au désir du consommateur, qui pense avoir l'initiative, même pour le "choix" du dernier I-pad ou celui du voyage aux iles Marquise.
Les premières automobiles déjà ne vinrent pas d'une demande mais furent la conséquence d'une offre (Ford sut la rendre désirable pour tous), qui finit par s'imposer comme une "nécessité", comme les téléphones portables, etc... biens auxquels personne ne pensait avant leur apparition et qui débouchèrent sur une demande sans fin et de plus en plus élaborée, en rapport avec le développement des forces productives, des relations, marchandes et autres, le développement des loisirs, etc...
Le débat sur l'antériorité de l'offre sur la demande ou vice-versa est en partie un faux problème.
Le débat insoluble en cours sur la priorité de l'offre sur la demande ou vice-versa est source de confusion, quant à la véritable nature des échanges humains, des marchés.
Il est surtout purement circonstanciel, objet d'âpres débats entre décideurs politiques et théoriciens économiques, (notamment dans la formation des prix), et nous éloigne, dans le contexte de crise que nous vivons, de la nature des choses.
Il y a une interdépendance systémique entre les deux aspects, comme l'avait bien vu Marx:
"Chacune apparaît comme le moyen de l'autre; elle est médiée par l'autre; ce qui s'exprime par leur interdépendance, mouvement qui les rapporte l'une à l'autre et les fait apparaître comme indispensables réciproquement, bien qu'elles restent cependant extérieures l'une à l'autre. La production crée la matière de la consommation en tant qu'objet extérieur; la consommation crée pour la production le besoin en tant qu'objet interne, en tant que but. Sans production, pas de consommation; sans consommation, pas de production. Ceci figure dans l'économie politique sous de nombreuses formes."
A partir des année 50 surtout, la consommation de masse, "l’équipement en appareils ménagers et audiovisuels des ménages ainsi que l’étendue de la grande distribution industrialisée ont permis une pénétration de la consommation marchande industrialisée dans les modes de vie. Ensuite, progressivement et avec l’industrialisation des services, certaines activités jusque-là non marchandes le sont devenues. L’interpénétration entreprise/marché ou l’intégration du client dans le processus production/consommation ont permis le contrôle du marché par les entreprises jusque dans la sphère personnelle et familiale. L’intégration du client dans l’entreprise ne résulte pas, comme on pourrait le penser a priori, d’une meilleure prise en compte des besoins du client, mais fait plutôt, et surtout, suite à un discours marketing et managérial de légitimation, permettant l’investissement de l’espace domestique et son contrôle par l’entreprise.
Mais le mythe du client roi a la vie dure...
"...Le consommateur d’aujourd’hui, qui est individualiste, vindicatif, volage, avide de nouveautés et d’immatériel, n’est pas assez éduqué pour faire des choix vraiment éclairés. La question sous-jacente est celle de savoir si l’on peut ou si l’on doit résoudre les problèmes de la société par le marché. En abordant les pistes et leurs limites, l’auteur souligne les logiques perverses du marché, lorsqu’elles sont transposées au niveau des citoyens. Etre citoyen ne se réduira jamais à bien consommer. En effet, le consommateur comme un enfant gâté, lui, veut tout, tout de suite. Alors qu’être un vrai citoyen devrait consister à faire des choix et se donner des échéances. Or, le marketing politique contribue à promouvoir un citoyen dénaturé qui consomme du politique comme des 4x4.
Le consommateur moyen d'aujourd'hui finit par être la victime d'un tel narcissime exigeant et finit par reproduire sa demande marchande à toutes les institutions (santé, école...) et la notion de client finit par remplacer celui d'usager dans les services publics.
L'horizon du bien commun finit par perdre son sens, l'égocentrisme, le narcissisme fonctionnant à fond comme moteurs principaux, comme C. Lasch l'a bien montré. L'infantilisme et ses exigences impérieuses finissent par devenir un des aspects des consommateurs captifs. La schizophrénie s'installe (entre l'acheteur en quête de "bonnes affaires"et le producteur qui risque son emploi par délocalisation expliquant ces dites bonnes affaires) et le marketing de l'ego devient la stratégie dominante.
La société de consommation est donc bien loin de représenter une libération, surtout quand le consommateur devient esclave du crédit, un homo debitor.
Et le consommateur s'efface devant le citoyen...
Roi, le consommateur? Un pouvoir qu'il n'a pas. Plutôt un (faux) dictateur. Une avidité de jouissance, sans cesse inassouvie, sans perspective ni souci de l'intérêt général et du long terme.
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- Le marché manipulé
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