La tragédie se poursuit au sud de Gaza
Nous sommes face à un nouvel échec pour une trêve éventuelle, pour une négociation entrevue. L'ONU lance des appels en vain. Comme elle l'avait fait à chaque grande étape de la colonisation masquée ou ouverte en Cisjordanie, surtout depuis Sharon. Le gouvernement israëlien actuel va tout droit dans le mur, sourd même des appels qui viennent de Tel-Aviv. On va dépasser plus que largement les limites de l'acceptable et même de l'imaginable. La "logique" israëlienne finit par ne plus étonner. Le Likoud va jusqu'au bout de ses propos. Les avertissements de Einstein, notamment, auront été vains. L'idéal sioniste s'est fracturé depuis longtemps, comme le confirme aussi Marius Schattner.
____ Mise au point. _____ICI aussi...Et là... _____
Libres propos: ambigüités du sionisme
"... Depuis l’échec des accords d’Oslo en 1993, et en particulier l’assassinat d'Yitzhak Rabin en 1995 par un ultranationaliste juif, ce sont avant tout les partisans du « Grand Israël » – dont la figure de proue n’est autre que Benjamin Netanyahu – qui détiennent le pouvoir politique et miliaire en Israël depuis une vingtaine d’années ? Et que les conséquences pour nombre de Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza ont été désastreuses : Colonisation à marche forcée, exactions répétées des colons envers les Arabes avec le soutien implicite de Tsahal, expropriation des terres des Palestiniens en Cisjordanie, détentions arbitraires, prison à ciel ouvert à Gaza. Au point que Amnesty international dans un rapport bien étayé datant de 2022, n’hésite pas à utiliser le terme « d’apartheid » pour qualifier la politique discriminatoire menée par les autorités israéliennes : (https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2022/02/israels-system-of-apartheid/) ___Comment en outre nier que Benjamin Netanyahu lui-même a contribué dès 2007 à l’arrivée au pouvoir du Hamas à Gaza au détriment de l’Autorité palestinienne, pensant pouvoir tirer cyniquement profit de cette organisation ouvertement antisémite et terroriste, pour justifier de sa politique vexatoire envers les Gazaouis et les Palestiniens dans leur ensemble ?Que penser enfin de l’indifférence manifeste d’une majorité de l’opinion publique de nombreux pays arabes depuis deux décennies, vis-à-vis du triste sort des Palestiniens ? Quoi qu’il en soit, d’aucuns affirment que l’antisionisme et l’antisémitisme se rejoignent d’une manière ou d’une autre. Cette problématique est en effet délicate, mais ce sont pourtant deux notions bien distinctes, étymologiquement et historiquement. J’observe pour ma part deux approches philosophiques bien différentes, voire opposées, relatives à la création d’un État juif : celle portée notamment par le physicien Albert Einstein (1879-1955), très critique à l’égard du sionisme nationaliste et religieux, et celle défendue par Théodor Herzl (1860-1904), considéré comme l’un des pères fondateurs du sionisme, et qui avait écrit en 1896 « l’État des Juifs ».Il serait en effet difficile de réfuter le fait que Herzl appréhendait la création d’un État juif au travers d’une vision colonialiste. Dans son essai de 1896, Herzl tâche de justifier pourquoi l’autorisation d’une puissance européenne serait nécessaire à la colonisation du territoire destiné à la création de cet État :« Deux territoires sont à l’étude, la Palestine et l’Argentine. Dans les deux pays, d’importantes expériences de colonisation ont été faites, elles ont toutefois été menées sur le principe erroné d’une infiltration progressive des Juifs. Une infiltration est vouée à mal se terminer. Elle se poursuivra jusqu’au moment inévitable où la population indigène se sent menacée, et oblige le gouvernement à stopper un nouvel afflux de Juifs. L’immigration est par conséquent futile si nous ne disposons pas du droit souverain de poursuivre cette immigration ».Herzl prévoyait en effet qu’une telle initiative démarre dans un premier temps « sous le protectorat des puissances européennes ». En outre, dans une lettre que Herzl écrivit en 1902 à Cecil Rhodes (richissime homme d’affaire britannique considéré comme l’un des plus grands colonialistes de son époque, installé en Afrique du Sud, et que certains considèrent comme ayant pu jouer un rôle indirect dans l’avènement de l’apartheid), il lui dit ceci : « Nous vous invitons à contribuer à l’histoire. Non pas à celle de l’Afrique, mais à celle d’un morceau de l’Asie Mineure ; cette histoire ne concerne pas des Anglais, mais des Juifs… Comment se fait-il que je me tourne vers vous, puisque cette question ne vous concerne pas ? Pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’une affaire coloniale ». Certains pourraient nous reprocher de faire preuve d’anachronisme, et qu’il faudrait resituer les propos de Théodor Herzl dans le contexte de son époque. Pourtant, dès cette époque, en Europe comme aux États-Unis, certaines grandes figures intellectuelles ou politiques n’hésitaient pas à condamner fermement les méfaits des grandes puissances coloniales. Nous pourrions notamment citer Georges Clémenceau, qui à la Chambre des députés en 1885, contre la volonté de Jules Ferry d’entraîner la France dans de nouvelles conquêtes coloniales, déclarait ceci : « Non, il n’y a pas de droit de nations dites supérieures contre les nations inférieures ; il y a la lutte pour la vie qui est une nécessité fatale, qu’à mesure que nous nous élevons dans la civilisation, nous devons contenir dans les limites de la justice et du droit. Mais n’essayons pas de revêtir la violence du nom hypocrite de civilisation. Ne parlons pas de droit, de devoir.La conquête que vous préconisez, c’est l’abus pur et simple de la force que donne la civilisation scientifique sur les civilisations rudimentaires, pour s’approprier l’homme, le torturer, en extraire toute la force qui est en lui au profit prétendu civilisateur. Ce n’est pas le droit, c’en est la négation. Parler à ce propos de civilisation, c’est joindre à la violence l’hypocrisie… » ___Qu’est-ce donc en effet que la colonisation, sinon partout et toujours un crime contre l’humain ? Car coloniser, c’est conquérir par la force ou la ruse un territoire, et déposséder les populations autochtones de leurs terres, ou les assujettir. Comment dès lors une quelconque colonisation pourrait avoir joué « un rôle positif » puisqu’il s’agit là d’un crime ineffaçable et impardonnable ? A l’opposé de la conception sioniste de Herzl, Einstein s’est très tôt méfié de celles et ceux qui prônaient la création d’un État juif, avec des arrière-pensées souvent messianiques. En effet, dans une lettre écrite en 1929 à Chaim Weizmann (premier président de l’État d’Israël en 1949), il lui dit ceci : « Si nous nous révélons incapables de parvenir à une cohabitation et à des accords honnêtes avec les Arabes, alors nous n’aurons strictement rien appris pendant nos deux mille années de souffrances et mériterons tout ce qui nous arrivera ». Aujourd’hui, avec le recul, les propos d’Einstein pourraient étrangement apparaître comme prémonitoire. En 1930, dans une lettre à Chaim Koffler, membre de la Fondation pour la réinstallation des Juifs en Palestine, le père de la psychanalyse Sigmund Freud confiait aussi tout son scepticisme à l’égard du projet de création d’un État juif en Palestine, persuadé que cela produirait d’interminables guerres de religions entres Juifs, Chrétiens et Musulmans, sur la terre des Lieux saints. Il préconisait « de fonder une patrie juive sur un sol historiquement non chargé ». Cette lettre de Freud à Koffler fut cachée pendant près de soixante ans, de peur de mettre en échec le projet sioniste au Proche-Orient. Les persécutions dont furent victimes les citoyens de confession juive en Europe, puis la Shoah avec l’extermination de près de 6 millions de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, ébranlèrent les consciences occidentales, découvrant ébaubies que les pays dits « civilisés » avaient produit au cœur même du Vieux Continent, la pire des barbaries : « un crime contre l’humanité ». Les dirigeants occidentaux se démenèrent alors pour prendre fait et cause pour le projet sioniste, tel qu’échafaudé auparavant par Théodor Herzl, et l’État d’Israël fut proclamé en 1948, après que l’ONU ait voté un plan de partage de la Palestine, entre Arabes et Juifs, mais qui ne fut jamais respecté. 1948 symbolise pour les Palestiniens la Nakba (« la catastrophe »), avec l’exode forcé de plusieurs centaines de milliers d’entre eux. En dépit du traumatisme de la Seconde Guerre mondiale et du paroxysme antisémite européen, Albert Einstein maintint sa critique du sionisme tel qu’il se mettait en place. En décembre 1948, pour protester contre la venue aux États-Unis de Menahem Begin qui venait de fonder le parti Herout, ancêtre du Likoud, il publie dans le New York Times avec d’autres éminents intellectuels d’origine juive, dont Hannah Arendt, une lettre très acerbe envers l’extrême droite israélienne de l’époque : « Parmi les phénomènes politiques les plus troublants de notre époque, est l’émergence dans le nouvel état d’Israël d’un parti politique proche de par son organisation, ses méthodes, sa philosophie politique et sa propagande, des partis nazi et fasciste. Il est issu de l’Irgoun, une organisation terroriste, d’extrême droite et chauviniste en Palestine… » Ces mots, certes arides, résonnent avec une certaine acuité quand l’on sait que c’est le Likoud de Benyamin Netanyahou qui est au pouvoir aujourd’hui en Israël, avec une coalition de suprémacistes juifs, et tout particulièrement le très sulfureux ministre Itamar Ben-Gvir. Il y a donc historiquement plusieurs approches différentes sinon divergentes du sionisme au sein de la communauté juive, certains ayant même été opposés au principe de création d’un État juif. Freud pressentait notamment qu’un tel État créé exclusivement sur des bases religieuses, pourrait difficilement devenir laïc. Et il serait absurde de qualifier Albert Einstein ou Sigmund Freud d’antisémites. Cependant, force est d’admettre que c’est la conception colonialiste du sionisme qui s’est imposée dès la création de l’État d’Israël, telle que planifiée par Théodor Herzl, et qui a produit depuis plus de soixante dix ans, tant de souffrances parmi les Palestiniens. Et qui ne peut produire ad vitam aeternam que haines, violences et guerres réciproques. L’attaque perpétrée par le Hamas le 7 octobre 2023 est une horreur absolue, et ne peut d’une quelconque manière trouver le début d’une justification ou d’une légitimation. Et le parti d’extrême gauche LFI a commis une double faute morale et politique en s’obstinant à n’y voir qu’« un crime de guerre », alors qu’il s’agit à l’évidence d’un acte terroriste abject. Mais la réponse militaire totalement disproportionnée des autorités israéliennes sur la bande de Gaza, est tout autant condamnable. Plus de 30 000 morts, dont une majorité de femmes et d’enfants, plus de 70% des maisons et des infrastructures détruites, dont les écoles et les hôpitaux, une population assoiffée et affamée et n’ayant plus accès aux soins les plus élémentaires, des pourparlers secrets entre les autorités israéliennes et celles du Congo pour exfiltrer une majorité de Gazaouis vers ce pays d’Afrique, qu’est-ce donc si ce n’est d’une part probablement des « crimes de guerre », mais d’autre part une entreprise de nature de génocidaire ? La convention internationale de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, décrit en effet le génocide comme « un crime commis dans l’intention de détruire, ou tout, ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Rappelons en outre que dans une décision datant du 26 janvier 2024, la Cour internationale de justice a demandé expressément à Israël d’empêcher d’éventuels actes de « génocide » et de « prendre des mesures immédiates » pour permettre la fourniture « de l’aide humanitaire à la population civile de Gaza ». Pendant ce temps en Occident, une majorité des responsables politiques, avec le soutien des grands médias d’opinion, minimisent ou sont dans le déni, certains allant même jusqu’à légitimer le massacre en cours à Gaza, en fournissant notamment les armes nécessaires à Israël, avec les États-Unis en premier plan. Dans un article récent paru dans l’Orient-Le Jour, l’essayiste Soulayma Mardam Bey avance l’idée que « les deux rives de la méditerranée sont unies par une histoire coloniale qui tarde à se clore définitivement » :(https://www.lorientlejour.com/article/1411826/au-royaume-de-france-la-palestine-muselee.html) Il est grand temps néanmoins de clore le chapitre de la colonisation ou de la néo-colonisation, dont Israël symbolise aux yeux d’une grande partie des anciens pays colonisés le dernier fer de lance du colonialisme occidental. Aimé Césaire dans « Discours sur le colonialisme », nous met pourtant en garde : « Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde… » Je combats depuis toujours tous les fanatismes et les obscurantismes d’où qu’ils viennent, de même que tous les racismes (racismes phénotypiques, l’antisémitisme, l’islamophobie, …). Par ailleurs, je demeure attaché à l’esprit laïc et républicain, que des forces réactionnaires s’obstinent pourtant à opposer à l’esprit d’ouverture et de respect de toutes les différences, dévoyant en cela l’idéal républicain. Enfin, la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948 ne doit pas devenir une relique d’un temps révolu, mais plus que jamais nous devons exiger par tous et partout de par le monde, le respect du droit international ! Nous devons donc espérer que dans un avenir proche, Benyamin Netanyahou et d’autres hauts responsables israéliens, auront à répondre de leurs actes devant la Cour pénale internationale, dans le cadre d’un procès équitable. De même, nous devons espérer que tous les responsables – commanditaires et exécutants – de l’attaque terroriste du 7 octobre 2023, seront jugés devant cette même Cour pénale internationale. Nous devons en outre exiger un cessez-le-feu immédiat et définitif à Gaza. L’écrivaine et rabbin Delphine Horvilleur affirme dans une interview récente, qu’elle ne croit pas « que la solution viendra des généraux ou des politiques, mais davantage des poètes, de ceux qui ont la capacité de construire par leurs mots d’autres possibles. C’est pourquoi mon livre s’ouvre avec un poète palestinien et se termine avec un poète israélien. Ils sont ceux qui m’aident à croire encore ». Albert Einstein quant à lui, considère que « le lien qui a uni les Juifs pour des milliers d’années et les unit encore aujourd’hui est, par-dessus tout, l’idéal démocratique de justice sociale, couplé à un idéal d’aide mutuelle et de tolérance entre tous les humains ». Les Israéliens et la diaspora juive gagneraient sans doute à davantage prêter attention à ces poètes et éminents penseurs, et à réinterroger l’histoire du sionisme, à l’aune de l’impasse dans laquelle ils se trouvent, par la faute des partisans d’une ligne dure, suprémaciste et colonialiste. Les Israéliens et les Palestiniens, loin des fanatismes religieux qui ne peuvent produire qu’exclusion et haine de l’Autre, devront trouver la force en eux-mêmes, malgré toutes les rancœurs quasi-insurmontables nourries de part et d’autre, de dialoguer à nouveau ensemble, d’égal à égal. La solution ne pourra être in fine que politique. Freud évoquait l’idée d’un État laïc. Certains évoquent l’idée à terme d’un seul État binationnal. Et si finalement la solution n’était autre que l’avènement d’un État laïc et républicain, dans lequel tous les citoyens seraient égaux, quelles que soient leurs croyances religieuses ou leurs cultures ? Les utopies d’aujourd’hui constituent parfois les réalités de demain ou d’après-demain." [Merci à Mediapart] ________________
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire