En marge du prêt russe.
Dans un contexte de reconfiguration brutale de l’espace politique suite à la dissolution de l’Assemblée nationale, les efforts du Kremlin sont sur le point de payer », écrit David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS au Centre d’analyse et de mathématique sociales de l’Institut des Systèmes complexes. Il travaille depuis des années sur le rôle des réseaux sociaux dans les mouvements et les manipulations de l’opinion.
Sa nouvelle étude est publiée avec le projet Politoscope, qui observe depuis 2016 le militantisme politique sur X/ex-Twitter. Elle « identifie une convergence d’intérêts entre le régime de Poutine et l’extrême-droite française », se penche sur « certaines mesures actives mises en place par le Kremlin depuis au moins 2016 pour déstabiliser la société française » et « montre comment certaines d’entre-elles entrent en synergie ces jours-ci pour faire tomber voire s’inverser le front républicain ». Pour le chercheur, nous sommes face à « la dernière étape avant la prise de contrôle de la France par des personnalités politiques moins hostiles au régime de Poutine ». « Rappelons qu’il y a déjà eu ingérence du Kremlin dans l’élection présidentielle française de 2017, via plusieurs vecteurs dont le piratage informatique des serveurs de l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron et une participation probable aux campagnes intensives d’astroturfing et de guerre des mèmes qui, pratiquées depuis l’étranger, visaient à faire gagner Marine Le Pen au second tour », débute la note. L’astroturfing est l’amplification artificielle d’une idée par la création d’une foule factice la propageant, en créant par exemple des milliers de robots sur les réseaux sociaux pour introduire ou amplifier certains messages. Cette année, des publicités ciblées ont été payées « par des acteurs liés au Kremlin (et peut-être d’autres pays) » : « Ainsi, pendant la campagne des élections européennes de 2024, des centaines de publicités prorusses ou cherchant à déligitimer les gouvernements en place ont visé les publics français, allemand, italien et polonais. Celles-ci surfaient sur tous les faits d’actualité susceptibles de semer la discorde, la contestation et la révolte », tels que les manifestations d’agriculteurs ou le soutien de l’Europe à l’Ukraine. « Ces publicités et les pages Facebook inauthentiques associées ont touché des dizaines de millions d’utilisateurs rien que sur la période » entre l’été 2023 et le printemps 2023. « Ces campagnes sont de plus en plus intenses à l’approche des jours de vote, a constaté le chercheur. La semaine précédent le premier tour, le compte @enfrancetoday faisait par exemple la promotion, via des publicités sur X, de campagnes de désinformation et de campagnes sous faux drapeau [en prenant l’identité d’une personne ou d’un groupe afin qu’ils soient accusés ou ridiculisés]. Ainsi une fausse annonce de recrutement de l’armée française pour l’Ukraine confortait les internautes dans l’idée qu’Emmanuel Macron s’apprêtait à entrer en guerre contre la Russie. » David Chavalarias rappelle aussi que les liens du Rassemblement national avec le pouvoir russe sont connus depuis longtemps : « La lecture du compte rendu de l’audition 2023 de Marine Le Pen devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les ingérences étrangères, confirme par exemple que le Rassemblement national, sa présidente Marine Le Pen et plusieurs candidats députés RN font preuve d’un tropisme pro-Kremlin depuis de nombreuses années. » Le 27 juin, Mediapart a par ailleurs révélé, documents à l’appui, que Jean-Luc Schaffhauser, l’eurodéputé Rassemblement national « qui a négocié le prêt russe au RN, dispose d’une fondation qui a touché des centaines de milliers d’euros en échange d’interventions en faveur de Moscou au Parlement européen ». « Le Rassemblement national quant à lui n’a jamais eu autant de candidats à avoir entretenu des liens directs avec le Kremlin ou à avoir affiché publiquement des positions pro-Poutine, ajoute l’étude du CNRS. C’est le cas notamment de Pierre Gentillet, candidat RN dans la 3e circonscription du Cher. Pierre Gentillet a notamment fait partie du Dialogue franco-russe, l’asso de Thierry Mariani qui pousse pour resserrer les relations entre l’Élysée et le Kremlin. » « Il est aussi l’un des cofondateurs et piliers du cercle Pouchkine, un think-tank russophile disparu en 2018 qu’il a présidé et qui aurait accueilli, entre autres, des membres de l’extrême droite française antisémites ou le chef de poste du renseignement militaire russe à Paris », rappelait Streetpress fin juin. Pierre Gentillet été recruté pour les législatives par Jordan Bardella en personne « alors que ce dernier avait lui-même été recruté par Gentillet sur le campus de sa fac à Clignancourt à la rentrée 2013 », retrace le chercheur David Chavalarias. Bardella n’avait alors que 17 ans « et se rêvait en YouTubeur de jeux vidéos sous le pseudo Jordan9320. La boucle est bouclée, et c’est à se demander qui a recruté qui », pointe-t-il aussi. Pierre Gentillet s’est qualifié pour le second tour. La note de David Chavalarias se penche aussi sur la manière dont les communautés politiques « préoccupées par le conflit israélo-palestinien et la montée de l’antisémitisme ou de l’islamophobie sont instrumentalisées afin de compromettre tout barrage contre une extrême-droite banalisée au second tour des législatives ». Cette ligne de fracture sur les réseaux débute avec la montée en puissance de l’utilisation du terme d’« islamo-gauchisme » dans le débat public. « Quasiment personne entre 2016 et 2021 ne faisait référence à l’“islamo-gauchisme” en tant que groupe social organisé, le concept étant quasi inconnu, pointe la note. En revanche, cela faisait quatre ans que quelques acteurs tentaient sans y parvenir d’introduire cet imaginaire dans l’opinion publique. On ne savait pas à l’époque, car il s’étaient “déguisés”, que les comptes de très loin les plus actifs de cette opération étaient des trolls du Kremlin », révèle le chercheur. « Le leader,@Yxxxxx – plus de 400 interventions au total, loin devant les autres – a désormais un profil en cyrillique... Une recherche rapide permet de voir qu’il s’agit d’un Russe de 38 ans résidant à Novosibirsk, probablement employé à l’époque dans une ferme à trolls. » _______
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