Politique d'influence
Il est passé le temps des canonnières, de la politique extérieure agressive, du moins pour l'instant et pour l'essentiel.
Le hard power n'a plus les moyens de son action et s'est heurté à tant d'échecs récents, de déconvenues cuisantes et de contre-performantes manifestes. L'ère Bush est oubliée, mais sans inventaire.
Le pouvoir américain fondé surtout sur la suprématie d'après-guerre est sur la voie d'un déclin, que certains annoncent comme certain.
Mais le soft power est bien présent, surtout du côté démocrate et peut prendre des formes très diverses, malgré ses fantasmes, ses illusions parfois, ses limites.
Soft power, mais power quand même.
A Séoul, le 21 février 2009, Hillary Clinton, Secrétaire d'État américaine, a déclaré vouloir s'appuyer sur le smart power, pour la stratégie de l'administration Obama, dans le cadre de la nouvelle diplomatie américaine.
Il s'agit toujours de créer ou de maintenir des zônes d'influence, mais avec d'autres moyens, où le business pourra faire florès; directement ou indirectement.
Par la culture, (au sens large) notamment. Ce que J. Eudes appelait La conquete des esprits: une forme douce, parfois invisible, souvent désirable, de colonisation.
L'attraction, voire la séduction en sont les ressorts principaux.
Mais c'est surtout dans le cadre du droit que le soft power révèle ses ambitions économiques
Comme le fait remarquer JM Quatrepoint:
L’exportation du droit américain, l’extraterritorialité des lois
américaines est un processus qui ne date pas d’aujourd’hui. Voilà des
années, voire des décennies que les États-Unis développent une stratégie
globale d’hyperpuissance en s’appuyant sur un arsenal juridique et en
imposant leurs lois, leurs normes, au reste du monde. Il aura fallu
l’amende colossale infligée à BNP Paribas (8,9 milliards de dollars) et
celle qui, infligée à Alstom (772 millions de dollars), fut la véritable
cause, quoi qu’en dise le PDG d’Alstom, de la vente de la division «
énergie » à General Electric, pour que nos dirigeants découvrent la
réalité d’une guerre économique engagée depuis des décennies. Ils ont
ainsi découvert, tardivement, le caractère meurtrier d’un arsenal
juridique dont la mise en place remonte à plus d’un quart de siècle.
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Dans la décennie 90, après l’effondrement du communisme, les
États-Unis vont se doter d’une série de lois qui concernent les
entreprises américaines mais aussi toutes les entreprises étrangères. La
majorité de ces lois, Trade Acts
ou embargos, permettent aux responsables américains du commerce
d’identifier et de sanctionner les comportements « injustes et
déraisonnables » des acteurs économiques rivaux des Américains.
On peut classer ces textes dans quelques grands chapitres :
Le plus connu aujourd’hui est la lutte contre la corruption, le fameux Foreign Corrupt Practices Act
(FCPA) qui s’appliquait aux entreprises américaines qui versaient des
pots de vin aux fonctionnaires et aux hommes politiques pour obtenir des
contrats. En 1998, ce FCPA est étendu aux entreprises étrangères et il
va servir de modèle à la convention OCDE censée réprimer la corruption,
notamment en matière de grands contrats.
Le second chapitre est une batterie de lois qui criminalisent le
commerce avec les États sous embargo américain. Certaines de ces lois
sont bien connues, telles les lois Helms-Burton et D'Amato qui
sanctionnent les entreprises commerçant avec l’Iran, Cuba, la Libye, le
Soudan etc. (au total il y aura 70 embargos américains à travers le
monde). En 2006, un banquier britannique, un des dirigeants de la Standard Chartered,
dira : « Putains d’Américains, qui êtes-vous pour nous dire et pour
dire au reste du monde que nous ne devons pas travailler avec les
Iraniens ? ». Quelques années plus tard la Standard Chartered devra payer 700 millions de dollars d’amende pour avoir commercé avec l’Iran.
Autre chapitre, une batterie de lois criminalisent le commerce avec les pays sous embargo ONU.
Ensuite viendra le blanchiment de l’argent sale des terroristes ou des narcotrafiquants.
Le Patriot Act, édicté en 2001 après l’attaque sur les Twin towers,
sous couvert de lutte contre le terrorisme, donne des pouvoirs élargis
aux différentes agences pour accéder aux différentes données
informatiques.
Enfin la loi Dodd-Frank de juillet 2010 confère à la SEC (Securities and Exchange Commission),
le gendarme américain de la bourse, le pouvoir de réprimer toute
conduite qui, aux États-Unis, concourt de manière significative à la
commission de l’infraction, même lorsque la transaction financière a été
conclue en dehors des États-Unis et n’implique que des acteurs
étrangers. Cela va donc très loin.
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Cerise sur le gâteau, en 2014, le Foreign Account Tax Compliance Act
(FATCA) donne au fisc américain des pouvoirs extraterritoriaux qui
contraignent les banques étrangères à devenir ses agents en lui livrant
toutes les informations sur les comptes et avoirs des citoyens
américains dans le monde. Si elles n’obtempèrent pas, 30 % de leurs
revenus aux États-Unis sont confisqués et, plus grave encore, elles
peuvent se voir retirer leur licence. Or, pour une banque, notamment les
plus grandes, ne plus pouvoir travailler aux États-Unis et ne plus
pouvoir compenser en dollars équivaut à un arrêt de mort. On a souvent
voulu voir derrière le FATCA le moyen pour les Américains de faire enfin
plier les banquiers suisses, les « gnomes de Zurich », les obliger à
abandonner leur sacro-saint secret bancaire. C’est vrai… mais c’est
l’arbre, moral et médiatique, qui cache la forêt. Ainsi, BNP Paribas a
été contrainte de fournir dans le cadre de son amende la liste des
comptes de ses clients américains et franco-américains. C’est ainsi que
des personnes fort respectables, qui ont la malchance d’avoir la
double-nationalité mais qui ont toujours gagné et déclaré leur argent en
France, sans avoir de revenus aux États-Unis, sont sommées par l’Internal Revenue Service
(IRS), le fisc américain, de fournir toutes leurs déclarations
d’impôts. Si jamais elles ont payé moins en France que ce qu’elles
auraient payé aux États-Unis, l’IRS leur réclame la différence. Cela
s’appelle du racket.
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Avec le recul, on s’aperçoit qu’il est très difficile de contester
chacune de ces mesures : Qui va s’élever contre le fait de lutter
contre la corruption… ? De même qui n’est favorable à la répression des
narcotrafiquants et du blanchiment de leur argent ? Il en est de même du
terrorisme. C’est là toute l’habileté du projet américain théorisé en
2004 par Suzanne Nossel, laquelle a inspiré Hillary Clinton lorsque
cette dernière était secrétaire d’État.
C’est la théorie non du soft power mais du smart power, affirmation par les États-Unis d’une vision universelle au nom de leur compétence universelle.
Les États-Unis se vivent comme le nouveau peuple élu. Leurs
victoires contre les forces du mal (en 1945 contre le nazisme, plus tard
contre le communisme), leurs performances économiques, témoignent de la
supériorité de leur modèle. Il est donc normal que tous les autres
peuples adoptent ce modèle car la globalisation implique
l’uniformisation. Les États-Unis énoncent donc de grands principes,
valables pour tous et que tous sont contraints de respecter à travers un
arsenal juridique, à travers la puissance du dollar, à travers les
technologies qui permettent de tout savoir (on pense à la NSA). Le tout,
bien sûr, pour le bien commun.
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Cette compétence universelle, par définition, s’applique à toutes
les activités humaines. L’offensive contre la FIFA et Sepp Blatter (et
par ricochet contre Michel Platini), a été menée par les Anglo-saxons,
par les Américains. Une offensive fort habile car chacun sait que la
FIFA (Fédération Internationale de Football Association), comme le CIO
(Comité international olympique), sont des lieux où le népotisme et la
corruption règnent en maîtres. Pour les Américains, il s’agit de faire
exploser ce système et de le remplacer par un autre où la puissance
américaine sera dominante et imposera ses règles.
Il est très difficile de s’opposer à ce smart power,
véritable idéologie qui s’appuie sur la défense des droits de l’homme,
la libre concurrence non faussée, le droit des consommateurs, le droit
des minorités etc.
Cette stratégie s’appuie également sur les ONG anglo-saxonnes. Ce
sont elles qui sont à l’origine de l’affaire Volkswagen...
.
...
Les États-Unis, forts de leur puissance, ont donc développé un
arsenal juridique tous azimuts. Ils décident qui peut commercer avec
qui. Ils peuvent décider aussi d’éliminer les concurrents. Les
entreprises françaises en savent quelque chose avec l’Iran. À la
différence de ce qui se passait dans les années 80-90, ils bénéficient
de la position du dollar : 78 % des transactions mondiales se font en
dollars et tout est compensé par les États-Unis. Comme toutes les
transactions en dollars transitent par les États-Unis, toute transaction
en dollars est soumise à la loi américaine. Ils ont aussi les écoutes :
on a découvert que la NSA et les services américains écoutaient
systématiquement tout, y compris les chefs d’État… et personne n’a
protesté. Et surtout, cette extraterritorialité devient un
extraordinaire business qui
profite d’abord aux Américains. Les amendes proprement dites commencent à
atteindre des montants conséquents. Pour les banques, le total des
amendes infligées par la justice américaine est de 125 milliards de
dollars, dont une bonne partie concerne les banques américaines. Mais
les banques américaines ont été condamnées pour les affaires de subprimes
(aucun banquier américain n’a fait de prison) tandis que les banques
européennes et japonaises ont été condamnées pour avoir violé des
embargos. Les banques suisses ont payé un très lourd tribut pour ne pas
avoir communiqué à temps un certain nombre de données.
On en est aujourd’hui à 35 milliards de dollars d’amendes pour les
banques étrangères et une demi-douzaine de milliards de dollars pour
les groupes industriels. Sur les dix premières amendes infligées,
notamment pour des affaires de corruption, aux groupes industriels, neuf
concernent des groupes étrangers. Le record va à Siemens (800 millions
de dollars) suivi par Alstom (772 millions de dollars).
Cet argent sert d’abord à l’auto-alimentation du système
judiciaire américain (la SEC, le Trésor, le DOJ etc.) dont les coûts
annexes sont considérables. Le système judiciaire américain, les
centaines de milliers de lawyers
des cabinets, sont embauchés par les entreprises et vivent « sur la bête
». L’argent des amendes fait donc vivre le système judiciaire américain
au sens large. S’y ajoute la contestation de brevets etc. L’application
de ce système de l’extraterritorialité est un formidable business qui alimente la machine judiciaire et juridique américaine.
Les gens de BNP Paribas seront sans doute heureux d’apprendre
qu’une partie de leur amende va servir à indemniser les citoyens
américains qui avaient été victimes de la prise d’otages à l’ambassade
des États-Unis à Téhéran en 1979. Plus de cinquante personnes, retenues
pendant 444 jours, n’avaient jamais été indemnisées parce que, dans
l’accord entre l’Iran et Ronald Reagan, l’Iran avait refusé de payer
quelque indemnité que ce soit (l’une des raisons pour lesquelles les
Iraniens avaient pris en otage les personnels de l’ambassade américaine
était la « prise en otage » par les Américains des compte iraniens à la
Chase Manhattan Bank…). Le Congrès a l’intention d’utiliser 1 à 2
milliards de dollars, pris sur l’amende de BNP Paribas, pour indemniser
ces ex-otages américains.
Plus grave : les accords que les entreprises étrangères sont
contraintes de signer s’accompagnent généralement de la mise sous
tutelle de fait de ces entreprises qui, de par le settlement,
l’accord passé avec la justice américaine, subissent pendant six mois,
un an, trois ans… la présence de contrôleurs indépendants chargés de
vérifier que l’entreprise condamnée se conforme bien à toutes les règles
de la compliance américaine.
Alcatel Lucent avait été condamnée il y a quelques années à une amende
pour corruption à propos d’affaires qui remontaient au début des années
2000 (le montant, moins important que celui infligé à Alstom, s’élevait
quand même à 170 millions de dollars). Contrainte d’accepter pendant
trois ans la présence d’un contrôleur indépendant, Alcatel Lucent devait
lui donner toutes les informations que ce contrôleur jugeait utiles à
la réalisation de sa mission. D’aucuns disent que Alcatel Lucent a été
ainsi pillée pendant quelques années par la justice américaine. Les
secrets de fabrication et un certain nombre de données essentielles
peuvent être transférés ainsi à une puissance étrangère.
L’extraterritorialité du droit américain permet à la puissance
américaine, sur les secteurs qu’elle estime stratégiques, d’asseoir sa
domination.
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