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mardi 12 septembre 2023

L'économie, science incertaine

Quand des économistes s'égarent

     Un économiste pas comme les autres...

       Il savait que l'économie n'était pas une science exacte et qu'elle ne pouvait se réduire à des données surtout mathématiques, au ras des marchés et des fluctuations bancaires, à des anticipations risquées sur l'avenir. Modeste, mais méthodique, il formulait hypothèses et  probabilités, à ses risques et périls, ce qui lui suffisait le plus souvent. Pour lui, l'économie n'est pas une "science dure", ce qui n'exclut pas sa nécessité et la rigueur de la pensée, où les mathématiques ont leur part comme outils. La crise de 2008 a montré les limites, les erreurs et l'aveuglement de l'analyse de certains économistes à l'esprit étroit ou trop dépendants des intérêts dominants. A part quelques uns, personne n'a rien vu venir... D. Cohen pointe le risque de déshumanisation dans l'espace économique . Après le choc néolibéral des années 80, faut-il redouter le "capitalisme numérique", comme il le souligne dans Homo Numericus

               Le propre des sciences de la nature est son pouvoir prédictif, sur la base d'observations méthodiquement menées, à partir d'hypothèses toujours à confirmer. La "science" économique, si elle a sa nécessité et sa rigueur propres, ne peut prétendre au même statut. Même quand elle use du calcul (statistique, le plus souvent), elle ne peut être qualifiée de "scientifique" au sens strict, même si elle s'en donne l'apparence. Sur les bases de données présentes à un moment donné, elle ne peut anticiper l'avenir. Tout juste peut-elle énoncer des tendances possibles. Les crises, par exemple, prennent le plus souvent, les économistes de court, comme celle de 2008, que seuls deux ou trois économistes  ont vu venir...        "...Depuis la pandémie de Covid-19, la boule de cristal des prévisionnistes s’est opacifiée jusqu’à la caricature. Trimestre après trimestre, les anticipations sont systématiquement démenties. Après avoir noirci le tableau post-confinement, ils ont clairement sous-estimé le risque inflationniste. Quant à cette récession qui devait frapper en 2023 une Europe fragilisée par la guerre à ses portes, elle n’aura été qu’un mirage. Comme avait un jour ironisé l’économiste américain Ezra Solomon, « la seule fonction des prévisions économiques est de donner à l’astrologie une apparence respectable »....                                                                        Faut-il dire: L'économie est une science trop sérieuse pour être laissée aux économistes?...Ou: l'économie est une science trop imparfaite, voire une connaissance trop problématique, pour que nous lui fassions  pleine confiance?..

    Cela dépend de son objet, de ses hypothèses, de ses parti-pris, de ses présupposés et de ses ambitions, secrètes ou masquées.
   Si elle a pour projet de donner une vaste synthèse sur les mécanismes de production et d'échanges à l'intérieur d'une société dans son rapport aux autres, de décrypter ses causes et ses effets en se projetant ambitieusement vers l'avenir, il est sûr qu'il faut se montrer particulièrement prudent, malgré l'intérêt que peut présenter l'éclairage particulier qu'elle présente.
    Car l'économie (micro ou macro) n'est pas une science dure, elle n'est qu'une connaissance humaine ou sujet et objet sont inextricablement liés, où l'objectivité pose des problèmes spécifiques et aigus.
   Beaucoup d'économistes le savent bien mais le disent trop peu.
Des débats, trop souvent feutrés ou méconnus, on lieu régulièrement entre eux, au sujet des méthodes et des limites de leur discipline.
    Comme dans le récent échange entre André Orléan et Jean Tirole,  dans le Manifeste pour une économie pluraliste publié cette semaine. Le premier réclame que J.Tirole, éminent représentant de l’économie dite “néoclassique”, qui prône la dérégulation, soit le porte-parole d’un courant parmi d’autres, et pas de toute l'économie. Il réclame un pluralisme opposé à une forme de pensée unique. Un pluralisme qui vient d’être refusé à l’Université
« Historiquement l'économie a toujours été un lieu de débat, ce n’est pas une science exacte et donc les débats ont toujours existé, jusqu'aux années 90, explique André Orléan à Mediapart. La France apportait beaucoup, elle était une terre d'accueil de ce pluralisme et ça s'est arrêté parce que le corpus dominant, celui des néoclassiques, a été de plus en plus dominant. La théorie néoclassique a pris des positions de pouvoir et elle a perdu une espèce d'esprit critique. Les néoclassiques se présentent tout le temps comme les seuls défenseurs de la seule vraie science. Il n'y a plus aucun débat... On ne peut pas faire vivre la recherche de cette manière. Toutes ses forces vont absolument dans le même sens, or la seule vraie force est de dire "méfiez-vous, ce n'est pas parce que vous êtes puissant que vous dites la vérité, ce n’est pas parce que vous avez le prix Nobel que vous dites forcément la vérité". La vérité, c'est l'esprit critique, et on ne peut pas faire un corps scientifique sans cet esprit critique et sans cette humilité. La crise financière a quand même montré au monde quels étaient les dangers d'une pensée unique qui ne s'autocritique pas. Or rien n'a changé ! Les capacités d'autorégulation de ce corps de néoclassiques sont nulles. »
    Ce qui est reproché ici, c'est la quasi exclusivité laissée aux voix néoclassiques, qui sont, ouvertement ou non, instrumentalisées par les gouvernements et les médias, qui, sans le dire, défendent la pensée libérale, instituée comme un dogme depuis les années Reagan, inspiré par l'école de Chicago, avec Hayek et Friedmaan.
   C'est aussi l'absence de débats sur les résultats et surtout les présupposés, les choix, qui président à la recherche dans ce domaine. Il y a une réelle demande de changement.
            Comme si on avait oublié l'état de désarroide déroute même, dans lequel s'étaient  trouvés des économistes bien pensants après le choc de la crise qu'il n'avaient pas vu venir, et qui retournent dans les mêmes ornières, les mêmes errements qu'avant, parfois au service d'un groupe bancaire comme conseillers financiers.
       L'hétérodoxie perd du terrain au profit de la doxa officielle, qu cède au dogmatisme, au conformisme ou à la pusillanimité.
      Comme disait l'économiste Maurice Allais, A toutes les époques de l’histoire, le succès des doctrines économiques a été assuré, non par leur valeur intrinsèque, mais par la puissance des intérêts et des sentiments auxquels elles paraissent favorables... La science économique, comme toutes les sciences, n’échappe pas au dogmatisme, mais le dogmatisme est ici considérablement renforcé par la puissance des intérêts et des idéologies ». [Maurice Allais_ 1968]
                -Krugman fustigeait naguère "la cécité de la profession sur la possibilité de défaillances catastrophiques dans une économie de marché". "Durant l’âge d’or, les économistes financiers en vinrent à croire que les marchés étaient fondamentalement stables - que les actions et autres actifs étaient toujours cotés à leur juste prix"---- M. Greenspan avouait qu’il était dans un état d’ « incrédulité choquée » car « l’ensemble de l’édifice intellectuel » s’était « effondré ». Cet effondrement de l’édifice intellectuel étant aussi un effondrement du monde réel de marchés, le résultat s’est traduit par une grave récession"( P.K.)_
    « Lorsque dans un pays le développement du capital devient un sous-produit de l’activité d’un casino, le travail est susceptible d’être bâclé», disait Keynes.
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