* Thomas Jefferson écrivait : "Si l'on me donnait à choisir entre un gouvernement sans journaux ou des journaux sans gouvernement, je n'hésiterais pas un moment à choisir cette dernière formule."
Lire le journal: une saine activité civique. Malheureusement en voie de régression, au profit de chaînes privées aux méthodes et aux contenus très discutés. Informer ne se résume pas à "faire savoir", mais à se donner les meilleurs moyens d'information et d'investigation. A condition qu'elle soit choisie et réfléchie et que l'information y soit de qualité, qu'elle que soit la ligne éditoriale générale, clairement assumée. La pluralité en ce domaine n'est pas un problème, mais la valeur de l'information, elle, en est un. Que reste-t-il de la qualité de la presse écrite française, depuis le renouveau de la Libération? Ne parlons pas des zéros ociaux.... Les subventions légitimes à la presse, pour qu'elle ait les moyens de bien faire son travail, est-elle encore légitime, quand on se rend compte qu'elle favorise surtout les plus puissants. la presse française, mais pas seulement, est bien malade. La diversité a vécu. Jamais comme auparavant l'essentiel de la presse n'a été aussi concentré entre quelques mains. Des mains intéressées. Il n'y a pas que le soutien fidèle de Z. qui est en cause. Il y a bien d'autres verrous médiatiques, influenceurs d'opinion. Ce n'est pas d'aujourd'hui et seulement en France, mais ça s'accentue dans notre pays. Malgré la résistance de quelques îlots. Et il n'y a pas que la presse écrite. Un monde d'intérêts sans véritable frein, alors que l'information neutre et objective devrait être la norme. Un petit tour d'horizon:
L'essentiel de la presse d'opinion est sous contrôle. On ne peut pas dire que la presse en France soit actuellement diverse et pluraliste, reflétant en toute indépendance les grandes tendances de l'opinion, comme à une certaine période de son histoire. Elle s'est plutôt réduite, concentrée et homogénéisée.
Ce n'est un secret pour personne: autour de 90% de la presse française est dépendante de grands groupes industriels et financiers qui y voient une possibilité d'influence, au moins indirecte. Peser sur l'opinion, même à perte, est l'un des objectifs des barons d'une presse écrite de moins en moins lue, où les groupes de pression et les puissants intérêts publicitaires pèsent d'un poids que peu remarquent.
10 milliardaires possèdent quasiment toute la presse: Bouygues, Xavier Niel, Dassault, Bernard Arnault, Bolloré, Pierre Bergé, Patrick Drahi, François Pinault, Matthieu Pigasse et Lagardère. De même, la majorité des titres de presse régionale et magazine appartient à deux fabricants d’armes : Lagardère (via Hachette) et Dassault (via la Socpresse)....Ajouter à cela la bollorisation galopante et bien orientée d'un groupe mercantile pour lequel l'influence et l'intérêt sont les objectifs majeurs. Où s'arrêtera la voracité de celui qu'on appelle le "boa", au service de la cause de qui vous savez. Sa voracité semble ne pas avoir de limites. Une presse de plus en plus vénale. ________
Point de vue: "...« La clef des libertés civiques d’un peuple est dans la liberté de la presse. » C’est avec cette citation du député radical Émile Brachard, extraite d’une de ses interventions devant l’Assemblée nationale en 1935 pour défendre l’adoption du premier statut professionnel des journalistes, que le Fonds pour une presse libre (FPL) présente son initiative : des États généraux de la presse indépendante, le 30 novembre, et auxquels participeront plus de 100 médias, organisations et collectifs de journalistes, en réplique aux États généraux de l’information élyséens. Le FPL justifie cette référence historique en faisant valoir que « la situation d’aujourd’hui a beaucoup à voir avec celle de l’entre-deux-guerres (1919-1939), qui vit l’apogée de la “presse d’industrie”. Une presse contrôlée et asservie par les grandes fortunes de l’époque, engloutie dans la corruption, et qui allait basculer dans la collaboration ». Le rappel de l’histoire délétère des médias sous la IIIe République permet en effet de mesurer les conséquences extrêmes des opérations de prédation sur la presse menées par les puissances d’argent, comme les instrumentalisations qu’elles permettent, notamment au profit de l’extrême droite. Des scandales, de manipulation ou de corruption, sous la IIIe République, il y en a sans cesse. Avant la guerre de 1914, et tout au long de l’entre-deux-guerres. Premier d’entre eux, celui dit « de Panama ». Pour assurer le financement des travaux de percement du canal, Ferdinand de Lesseps fonde une société, la Compagnie universelle du canal interocéanique de Panama. Celle-ci fait faillite en 1889, provoquant la ruine de près de 85 000 petits épargnants qui avaient souscrit à ses emprunts. Mais l’affaire prend rapidement une autre dimension. De la prison où il est incarcéré, le polémiste d’extrême droite Édouard Drumont, qui vient de publier un pamphlet violemment antisémite, La France juive (1892), révèle – documents à l’appui – dans son journal La Libre Parole qu’une partie des financements a été détournée pour corrompre des dirigeants politiques, dont le président de la Chambre des députés, et de nombreux journalistes. « Les comptes de la Compagnie allaient révéler que 12 à 13 millions de ses crédits de publicité étaient allés à la presse, versés à des journaux, à quelques directeurs et à certains journalistes influents », raconte l’historien Marc Martin, dans une remarquable étude publiée en 2006 par Le Temps des médias. Cette corruption vaut à tous ceux qui y succombent de méchants sobriquets, comme « chéquards » ou « panamistes ». Même Georges Clemenceau reçoit des subsides pour son journal La Justice, bien qu’il en ignore l’origine douteuse. Dans son Histoire des médias, l’historien Jean-Noël Jeanneney précise que c’est souvent la presse elle-même qui est à l’origine du pacte de corruption, comme le révèle le procès de l’affaire, durant lequel Charles de Lesseps, fils de Ferdinand et l’un des dirigeants de la compagnie déconfite, explique à la barre : « Ce n’est pas moi qui ai été l’initiateur de la corruption, explique-t-il. Ce sont les journaux qui venaient me voir et qui me disaient : “Si vous ne me donnez pas d’argent, je vais dire que votre entreprise ne marche pas.” » Tout le pays comprend qu’une bonne partie de la presse est prise dans les rets de la corruption. Ces événements vont nourrir la vague antiparlementaire et antisémite qui contribuera au déclenchement, en 1894, de l’affaire Dreyfus. À l’occasion d’une intervention houleuse à la Chambre, le 8 février 1893, le député socialiste Jean Jaurès n’est pas le dernier à l’alimenter : « La puissance de l’argent avait réussi à s’emparer des organes de l’opinion et à fausser à sa source, c’est-à-dire dans l’information publique, la conscience nationale. » Et d’opposer en comparaison les initiatives de presse ouvrière où l’on « se cotisait pour fonder des journaux non pas avec de l’argent pris ici ou là à des banques nationales ou cosmopolites, mais avec l’épargne prélevée sur les salaires ». « Une ébauche de la presse loyale représentant vraiment l’opinion, reprend le socialiste. Et vous l’avez interdite. » Ce plaidoyer en faveur de l’indépendance de la presse vis-à-vis des puissances d’argent devient dès lors pour Jaurès une obsession. Et quand il fonde L’Humanité en 1904, c’est l’un des thèmes de prédilection de ses éditoriaux. Dès le premier numéro, le 18 avril, Jean Jaurès l’annonce : « Faire vivre un grand journal, sans qu’il soit à la merci d’autre groupe d’affaires, est un problème difficile mais non pas insoluble. »...... Quelques années plus tard, le 30 juin 1909, Jean Jaurès publie un nouvel article, « La curée prochaine », dans lequel il pourfend les puissances d’argent : « Mais voilà le cas que les grands fournisseurs, les grands capitalistes, font des enquêtes. On pourra voter ce qu’on voudra, ils s’en moquent. Une seule chose les intéresse : c’est qu’au bout des paroles et des votes, il y aura un nouveau programme de dépenses, de nouveaux crédits. Et ils essaient de se tailler d’avance la plus large part en corrompant la presse, en trompant l’opinion, en compromettant les hommes publics. »_____Il écrira encore cet article le 11 novembre 1913, « Pour le développement de L’Humanité », d’une incroyable actualité plus d’un siècle plus tard : « C’est notre devoir et c’est notre honneur d’écarter toute publicité de finance […]. Un journal n’est libre de son action nationale et internationale qu’à la condition de rejeter des subventions et des concours qui pris en soi, pourraient paraître innocents à des citoyens attentifs […]. L’effort de la finance pour s’emparer partout des ressources d’information est immense […]. Bientôt un journal pleinement indépendant sera un des grands luxes de la pensée humaine ; et une des gloires du Parti socialiste sera de donner à l’intelligence et à la conscience des hommes cette garantie et cette sécurité. » ... Dans les années 1920, toute la presse ou presque continue d’être prise dans les eaux troubles des puissances d’argent. Un quotidien est alors le révélateur de cet état de servitude : Le Temps – « la bourgeoisie faite journal », selon la formule de Jaurès. Le journal est à la fois très proche des milieux patronaux et à la solde du Quai d’Orsay. Il est de notoriété publique que Le Temps est le journal du Comité des forges, l’aile la plus influente du patronat (l’ancêtre de l’actuelle Union des industries et métiers de la métallurgie). Mais cette proximité n’est pas qu’idéologique. Ce journal libéral créé en 1861 par un protestant alsacien, Auguste Nefftzer, va devenir la propriété en 1871 d’Adrien Hébrard, un sénateur républicain qui ne se distingue guère pour son sens de l’éthique, et qui emporte Le Temps avec lui dans la tourmente des affaires de Panama puis des emprunts russes. Après sa mort, en 1914, ses fils se succèdent à la direction du quotidien, avant de céder leurs parts à Louis Mill (1864-1931) entre 1927 et 1929. Ainsi que le raconte l’historien de la presse Patrick Eveno* : « C’est au décès de ce dernier, en 1931, que le grand public apprend que Louis Mill n’était que le prête-nom d’intérêts financiers, proches du grand patronat du Comité des forges et du Comité des houillères. » Le coffre-fort de Louis Mill ouvert après sa mort contient un document dans lequel il reconnaît être le prête-nom d’autres hommes d’affaires. Comme le précise l’historien Christophe Charle dans son livre Le Siècle de la presse, les actions de la famille Hébrard n’ont pas été vendues pour « pour 25 millions de francs » à Louis Mill, mais « au groupement de plusieurs grands patrons, notamment de Wendel, des sociétés comme La Marine-Homécourt, Denain-Anzin, le Comité des assurances, Rothschild et Suez ». Le Temps était donc réellement la propriété du Comité des forges, présidé par François de Wendel, en même temps régent de la Banque de France, le quartier général des célèbres « deux cents familles ». « Le Figaro » est aux mains d’un parfumeur fasciste et antisémite. Au même moment, en 1922, un siècle avant Le Journal du dimanche, survient le premier exemple d’un grand journal tombant dans les mains de l’extrême droite....."
________ L'histoire se répèterait-elle?.. [ Merci à Médiapart et à Laurent Mauduit] ______
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