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samedi 10 septembre 2022

Ecoles suédoises (suite)

(Selon Le Monde)

Une école-business..._____

" L’école suédoise, dégradée par une logique de marché, est devenue un contre-modèle

Le système scolaire du pays scandinave, longtemps très estimé, s’est affaibli à mesure que l’enseignement privé prenait du poids et s’autonomisait. Les inégalités se sont creusées, et l’enseignement public est fui.
Par Anne-Françoise Hivert(Malmö (Suède), correspondante régionale)
Publié aujourd’hui à 06h00, mis à jour à 06h00
Analyse.                           "L’école suédoise va mal. Avant des élections législatives prévues dimanche 11 septembre, les leaders politiques ont beau s’opposer sur les solutions, ils font tous le même constat. Chaque année, 16 000 élèves quittent le collège sans pouvoir entrer au lycée. Les différences de niveau entre les établissements ne cessent de croître. Partout, les enseignants qualifiés manquent à l’appel.
Le système scolaire suédois, considéré comme l’un des plus performants et égalitaires du monde il y a encore trente ans, est désormais observé avec un mélange de répulsion et d’incrédulité. En 2013, l’enquête PISA (Programme international pour le suivi des acquis), publiée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), avait révélé au grand jour ses dysfonctionnements : le niveau des jeunes Suédois en lecture, mathématiques et sciences s’était effondré. Depuis, il est légèrement remonté, mais les inégalités scolaires se sont creusées.
Pour comprendre cette évolution, il faut remonter à la fin des années 1980. L’école suédoise est alors encore très centralisée. Son organisation et son financement dépendent de l’Etat. Les établissements ont peu d’autonomie. Autre particularité : ils sont quasiment tous publics. En 1992, seuls 1,1 % des écoliers et collégiens et 1,7 % des lycéens étaient inscrits dans le privé.
Malgré ses bons résultats, ce système est alors de plus en plus critiqué pour son manque de diversité pédagogique et le peu de liberté de choix qu’il laisse aux parents. Alors que les finances publiques du pays sont dans le rouge, les Sociaux-Démocrates au pouvoir décident de décentraliser l’éducation : à partir de 1989, le primaire et le secondaire passent sous la responsabilité des 290 communes, malgré l’opposition des syndicats d’enseignants.
Des sociétés cotées en Bourse
Quand la droite arrive au pouvoir en 1991, elle introduit une seconde réforme, celle des « friskolor » – les « écoles libres » –, visant à mettre fin au quasi-monopole de l’enseignement public, avec l’introduction d’un « chèque éducation ». Imaginé par l’économiste américain Milton Friedman, chantre du néolibéralisme, il se présente sous la forme d’une enveloppe, financée par les communes et attribuée à chaque élève, quel que soit l’établissement où il est inscrit, afin de couvrir ses frais de scolarité. Avec cet argent, les établissements paient les enseignants, le personnel administratif et les locaux.
Pendant les premières années, le montant du « chèque éducation » est de 15 % inférieur dans le privé. Quand ils reviennent au pouvoir en 1994, les Sociaux-Démocrates le portent au même niveau que dans le public au nom de l’égalité : les parents doivent pouvoir choisir d’inscrire leurs enfants où bon leur semble, quels que soient leurs revenus. Aux communes de fixer le montant du chèque qui peut varier du simple au double. Les écoles privées peuvent s’établir où elles le souhaitent, à condition que l’inspection scolaire leur donne son feu vert. Elles sont également autorisées à faire des profits.
Ce système est toujours en place aujourd’hui. Mais le paysage scolaire a fondamentalement changé. Désormais, environ 400 000 élèves âgés de 1 à 19 ans sont inscrits dans le privé, soit environ un cinquième des jeunes Suédois. Des sociétés anonymes, dont certaines sont cotées en Bourse, détiennent 70 % des 4 000 établissements privés (dont 70 sont confessionnels). A eux seuls, les vingt plus gros acteurs privés comptent 60 % des élèves.
Le secteur a vu s’imposer une logique de marché. Pour augmenter leurs revenus, les établissements privés doivent attirer le plus d’élèves possible, tout en réduisant les coûts. Parmi les solutions : se passer d’une bibliothèque ou d’une cantine, mais aussi augmenter le nombre d’élèves par enseignant, ou embaucher des professeurs non qualifiés avec des salaires inférieurs.
La stratégie consiste également à attirer les élèves les moins difficiles, qui coûtent le moins cher. Pour y parvenir, les établissements privés ont développé différentes tactiques : s’installer dans les beaux quartiers, présenter un profil exigeant réservé à des élèves particulièrement motivés ou gonfler les notes. Soumis à la double pression des parents et de leurs supérieurs, les enseignants doivent obtempérer.
Aucune obligation de transparence
Mais l’outil le plus efficace reste les listes d’attente, car certains parents, les plus avertis, sont prêts à y inscrire leurs enfants dès la naissance. Elles peuvent rassembler des centaines de noms. Officiellement, les écoles privées n’ont pas le droit de faire de sélection et doivent accueillir les premiers inscrits. En réalité, elles n’ont de comptes à rendre à personne, puisque ces listes sont considérées comme des secrets commerciaux, dont la gestion n’est soumise à aucune obligation de transparence.
Face à ce phénomène, les communes sont démunies. Sans pouvoir s’opposer, sur leur territoire, à l’installation d’un établissement privé qu’elles sont obligées de financer, elles se trouvent dépourvues pour lutter contre la ségrégation scolaire en forte progression. D’autant que l’on assiste à une fuite en avant : à mesure que les inégalités augmentent, les élèves quittent le public pour le privé. Plus les listes d’attente s’allongent, plus les entreprises scolaires prennent de la valeur.
Avant les élections, les Sociaux-Démocrates et le Parti de gauche se sont engagés notamment à interdire les profits des acteurs privés et à réduire leur financement. Les centristes et libéraux proposent, pour leur part, de mieux encadrer le secteur privé, avec des contrôles accrus des pouvoirs publics. Mais aucun ne veut remettre en cause la liberté de choisir des familles à laquelle les Suédois sont attachés. Seule exception : les Démocrates de Suède (extrême droite) veulent interdire la dizaine d’écoles de confession musulmane. "
Anne-Françoise Hivert(Malmö (Suède), correspondante régionale)

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